Anubandh : Bonjour! Je m'appelle Anubandh KATÉ. Je suis un ingénieur basé à Paris et depuis quelques mois j'ai commencé à faire des entretiens. J'ai commencé à parler aux auteurs à propos des livres que j'ai lus et que j'aime. Aujourd'hui, j'ai un grand plaisir de recevoir Olivier DA LAGE.
Bienvenue Olivier !
Olivier : Bonjour! Merci de me recevoir.
Anubandh : Avec plaisir ! Olivier DA LAGE, j'ai déjà eu un entretien avec lui concernant son livre portant (publié) en français “Les Indiens et leurs Langues » et nous avons eu une longue séance de discussions fascinantes. Mais aujourd'hui, qu'est-ce qui m'amène ici avec lui c'est le fait que le 7 mai nous célébrons l’anniversaire de naissance de Rabindranath TAGORE et c'est le 164ème anniversaire de naissance. TAGORE est né le 7 mai 1861. Nous avions l'idée que la meilleure façon de commémorer cet anniversaire de naissance serait de discuter et parler d’un des livres importants de TAGORE. Nous avons choisi son livre « Nationalisme ». Voici donc le livre dont nous parlerons mais avant ça, je lirais quelques lignes pour présenter Olivier DA LAGE à mon public indien, ceux peut-être qui ne le connaissent pas encore.
Alors, Olivier DA LAGE, travaillait pour RFI qui est « Radio France Internationale » et il est spécialiste des relations internationales. Il est actuellement chercheur à l'IRIS, « Institute de Relation Internationale et Stratégique » à Paris. Il est un expert sur les questions liées à l'Inde ainsi que les pays arabes. Il est resté en Inde pendant un certain temps. Olivier y a-t-il quelque chose que souhaiteriez-vous ajouter à cette introduction ?
Olivier : Non, non. Je rougis ! Merci, vous pouvez continuer.
Anubandh : Mais je le ferai, je vais continuer un peu sur cette ligne parce qu'il y a quelques livres que vous avez écrits et je vais les nommer, bien qu'ils soient en français. « l’INDE de À a Z » que vous avez co-écrit avec Nina DA LAGE. Puis, « l’INDE: Désire de Puissance ». Vous avez egalement ecrit, “Bombay: D’un quartier à l’autre”. Ensuite, “L’INDE: Un géant fragile” et vous avez aussi écrit le roman, « Le Rickshaw de Mr. SINGH ». Cela représente donc une panoplie assez large de vos livres. Ils sont en tout 20.
Eh bien, alors ce qui m'amène à vous, pour vous avoir sur cette session, c'est aussi pour le fait que vous avez réédité « Nationalisme », le livre de TAGORE en français et je crois que c'était en 2020, est-ce vrai ?
Olivier : Oui.
Anubandh : Alors, j'aimerais que vous expliquiez à mon public quelle a été l'inspiration, quelle est la raison pour laquelle vous avez choisi ce livre et comment tout cela s'est passé ?
Olivier : Quelques années avant ça j'avais coordonné et co-écrit un énorme livre sur le Nationalisme Religieux. Ce n'était pas mon initiative mais un éditeur qui m'a contacté. J'avais déjà travaillé avec lui et il a dit que vous devrez faire ça. Alors, au début j'étais un peu inquiet parce que je ne savais pas, je veux dire, je ne connaissais pas très bien le sujet. Mais ensuite, j'ai décidé de relever le défi et j'ai contacté un certain nombre de spécialistes sur divers pays. Et à la fin un énorme et gros livre de nombreuses monographies pour ainsi dire, plus une introduction et une conclusion que j'ai écrit. Et un chapitre sur l'Inde sur le nationalisme religieux. Plusieurs années plus tard, le même éditeur m'a contacté et m'a dit vous savez, je pense que vous devrez lire ce petit livre de TAGORE et étant donné ce que vous avez fait précédemment peut-être que vous devrez écrire également une présentation de ce chef d'œuvre. Donc, je n'avais jamais entendu parler de ce livre, bien sûr, je connaissais TAGORE mais ce livre m'était totalement inconnu. Alors, j'ai commencé à le lire, dans la version anglaise qu'il m'avait envoyée. Même si c'est un livre assez petit, je veux dire, c'est le livre en version anglaise qu'il m'a donné. Vous pouvez voir que ce n'est pas très épais (comme livre) et j'ai décidé que c'était une très bonne idée. Alors, j'ai trouvé une traduction française qui avait été publié en 1924. C'était donc il y a près d'un siècle ce qui veut dire que je pourrais utiliser cette traduction. C'était dans le domaine public et avant d'écrire quoi que ce soit, J'ai décidé de plonger dans TAGORE. Je connaissais bien sûr Rabindranath TAGORE de nom et j'avais vu plusieurs films qui avait été inspiré par ses œuvres, comme on les connaît bien en France, bien sûr, de Satyajit RAY. Mais je dois avouer que je n'avais jamais lu TAGORE. Alors, j'ai commencé à lire plusieurs de ses romans, ses poèmes. Je n'ai pas lu tout ce qu'il a écrit, c'est vrai, Je veux dire, ça aurait pris presque toute une vie ! Parce qu'il a tellement écrit.
Mais ensuite, ce qui m'a frappé, c'est que dans les romans, qui sont de vrais romans. Je veux dire, c'est un plaisir à lire. Mais il y a une intrigue, il y a des personnages, pourtant il y en a toujours une idée qui traîne sous l'histoire et c'était tout à fait conforme à ce que j'avais lu sur le nationalisme et pour le dire en un mot et je vais m’arrêter là pour la première réponse. TAGORE se méfie beaucoup au nationalisme en soi et ce à quoi il conduit.
Anubandh : Oui, j'aimerais choisir quelques-unes de vos idées et thèmes de cette première introduction de votre part et j'avoue aussi que même si je suis indien, ou plutôt j'étais. Je veux dire maintenant je suis un franco-Indien. Il m'est arrivé de lire ce livre sur le nationalisme en français, en France et je ne le connaissais pas quand j'étais en Inde. Ce n'est peut-être pas une surprise car la plupart des gens que je connais en Inde qui lit pas mal, ne connaissent pas vraiment à quel point les écrits politiques de TAGORE étaient importants ou le sont aujourd'hui. Donc, le livre sur le nationalisme, bien que ce soit un petit livre, comme vous l’avez dit, les idées qui sont là et leur concision, leur précision est incroyable. Et il a cet universalisme qui dépasse le temps, les siècles. On peut dire ça de beaucoup de livres mais je le ferais, s'il y a une liste, je garderais ce livre dans un très haut rang. Je voudrais également faire remarquer à mon public qu’après avoir vécu 11 ans en Europe et neuf ans en France, et ce que j'ai pu observer sur la société française est que je vois une fascination ici pour la lecture. Par exemple, et peut-être qu'Olivier dirait que c'est est en déclin, (ceci) est décroissant mais pourtant quand vous prenez le métro ici, quand vous êtes dehors, vous voyez des gens qui lisent encore et résistent au portable. Je trouve que c'est encore plus particulier, particulier à propos de Paris. Je n'ai pas vu cela dans d'autres villes européennes.
Olivier : Sur ce, je dirais que c'est, de temps en temps je vois mon voisin ou la personne qui se tient devant moi qui lit un livre, je regarde juste le titre du livre et de temps en temps je vais chercher/acheter ce livre !
Anubandh : C’est vrai et
parfois cela donne aussi une occasion pour commencer une discussion, une
conversation même avec des inconnus et c'est tellement merveilleux ! Et j'ai
aussi vu des gens marcher, en allant vers leurs bureaux et continuer à lire ! Donc,
c'est plutôt une scène à voir.
C'est donc à peu près pourquoi vous avez écrit ce livre, mais vous avez également écrit une introduction de 20 pages à ce livre. Alors quels seraient les points forts de ce livre, des idées de TAGORE que vous tireriez ?
Olivier : Peut-être avant ça, nous devrions nous rappeler de quoi parle le livre et comment et quand il a été publié. En fait, il n’a pas été conçu pour être un livre. En 1916 TAGORE est allé au Japon puis aux États-Unis. Il y a donné trois conférences. Un au Japon et deux aux États-Unis. 1916 est l’apogée de la Première Guerre mondiale. Donc, il pouvait voir, parce qu'il était allé en Europe et il était en contact avec les Européens, il pouvait voir l'ampleur des massacres qui ont eu lieu entre des pays qui étaient censés être hautement civilisés et instruits et ainsi de suite… et ça a été un choc pour lui et fondamentalement vous pouvez voir à quel point il est profondément choqué dans la façon dont il présente ses idées qui font à peine référence à la guerre elle-même, même si vous pouvez savoir qu'il a été publié en 1916, vous comprendrez facilement qu’en fait, tout fait référence à cette boucherie, ce qui se passe entre les peuples d'Europe. Donc, alors ces trois conférences ont été rassemblées dans ce livre publié l'année suivante, en 1917 encore alors que dans le monde la Première Guerre mondiale se déroulait et je pense qu’il faut garder cela à l'esprit parce que beaucoup de choses font clairement référence à ce contexte. Ceci étant dit, constamment, s'il s'adresse au public japonais ou l'américain, j’essaie de voir comment d'une part il admire la culture européenne, ce qui ne veut pas dire qu'il veut l'importer en Inde. Comme s'il l'était, il plaisantait dans d'autres œuvres que l'éducation en Inde par les Britanniques qui demande à de jeunes enfants de lire des livres sur la neige dans des zones où ils n'avaient jamais vu un flocon ! Donc, Je veux dire, cette transposition de livres pour enfants en Grande-Bretagne aux enfants en Inde n'avait aucun sens, mais ça ne veut pas dire qu'il rejetait la civilisation occidentale, pas du tout. Mais il veut une civilisation asiatique, s'il fait référence au Japon ou à l'Inde, de prendre, de puiser dans ses propres origines, tout en ne rejetant pas les étrangers. Il veut donc faire un choix pour sélectionner, expédier pour ainsi dire les influences et venir au nationalisme, il le considérait comme l'un des pires possibles influence occidentale et lorsqu'il parle de Nation, très souvent, on a l'impression que cela n'a rien à voir avec quoi nous en Europe et nous en France considérons une nation. Mais ce n'est pas toujours aussi clair. Il appelle une nation quelque chose qui ressemblerait davantage à un État, le monstre froid qu'est l'État, dans un sens, il est assez kafkaïen dans sa manière de décrire l’État. C'est, il appelle ça quelque chose qui semble très efficace, très sans âme, très égoïste comme une presse hydraulique, très.. Je veux dire… sans tenir compte des sentiments des gens, juste l'efficience, l'efficacité et il a un rejet catégorique de « Nationalisme » qui peut très souvent être confondu dans ses écrits avec le « colonialisme » aussi. Donc il est parfois difficile de savoir quand il mentionne en fait la nation, l'État ou la puissance coloniale qui à l'époque était bien sûr la Grande-Bretagne.
Anubandh : En effet, et merci d'avoir également expliqué le contexte dans lequel ces propos de TAGORE étaient exposés et c'est bien pendant la Première Guerre mondiale comme vous avez mentionné. C'est également important parce que nous sommes aujourd'hui au milieu de, peut-être la fin du conflit - guerre ukrainien, à Gaza nous avons un très vaste bombardement et des meurtres, depuis tant d'années maintenant, au moins depuis plusieurs mois. Puis nous avons ces menaces, des nuages imminents de guerre entre le Pakistan et l’Inde. Alors oui, nous vivons peut-être aussi une époque similaire. Pourtant, je reviens à ce que vous disiez, à propos de sa critique de l'Occident et le mot qu'il a utilisé est la « civilisation politique de l'Ouest » et avant d'entrer dans le vif du sujet ce que je propose, c’est qu’il n'a pas seulement critiqué l'Occident mais il critiquait également l'Est. Il appréciait l’Occident, il appréciait aussi l’Orient et c'est là que j'aimerais aller parce que en fin de compte, c'est une question de « coexistence » et pas seulement comme une « acceptation réticente » de l’un et l’autre. Mais, plutôt quelque chose de constructif et je pense que c'est ce dont nous avons besoin.
Olivier : Exactement, et pour appuyer ce que vous venez de dire, l'un des phrases que vous trouvez dans sa conférence au Japon, c'est « je ne peux pas croire que le Japon soit devenu ce qu'il est en imitant l'Occident » et il plaide désespérément au Japon, pour que le Japon ne suive pas les pas des puissances coloniales occidentales et s'il fait ça c'est parce qu'évidemment, il y a déjà les germes de l'impérialisme au Japon après l'ère Meiji où ils ont emprunté à l'Occident la modernisation et ils voient que l'expansion se profile vers la Chine, Corée et ainsi de suite… TAGORE sait évidemment tout ça, il le ressent et il essaie de dire : « votre culture, les relations spéciales que les Japonais ont avec la nature ne devraient pas être compromis par l’emprunt, le pire de la civilisation occidentale. Prenez ce qui est bon et gardez ce qui est bon du Japon » et en même temps il est, je ne dis pas qu'il est trop optimiste parce qu'il a écrit quelque part, je ne me souviens pas dans laquelle des trois conférences, mais je pense que c'était au Japon, « je sais que ma voix est trop faible pour s'élever au-dessus du tumulte de cette période mouvementée. » Alors, il plaide avec passion pour la culture, la paix et la compréhension entre les peuples, en même temps il est assez perspicace à propos le sort de son exhortation.
Anubandh : Oui, je veux dire, une critique courante qui vient à TAGORE c'est que souvent il est considéré comme quelqu'un de rêveur, n'étant pas réaliste, dans son humeur idéaliste. Mais je dirais que ce qui vaut la vie humaine si elle n’est pas consacrée aux idéaux suprêmes ? Et que c’est pertinent pour n'importe quel pays, n'importe quelle société.
J'aimerais revenir à développer davantage cet argument et j'inviterai plus tard vos commentaires. Alors, sa critique d’abord à l’égard de l’Occident et il a dit quelques lignes que je propose de lire. Il dit : « L’Occident parle de liberté mais il a aussi enchaîné l’humanité par l’esclavage ». Donc, nous avons les célèbres idéaux de la Révolution française ; Liberté, Égalité et fraternité. Mais nous connaissons aussi le passé colonial, de nos jours nous connaissons le néolibéralisme de la part des pays occidentaux. Il dit que, « nous, les peuples du monde sont unis par de grands idéaux » et il dit que même si l'histoire politique européenne a été très difficile, ou très dominante et brutale il y avait aussi des gens qui qui croyaient aux valeurs universelles et qui se sont battus pour cela, et il les qualifie de « les chevaliers errants de l’Europe moderne » et il dit : « L’Europe est suprêmement bonne dans sa bienfaisance où son visage est tourné vers toute l'humanité. L’Europe est suprêmement mauvaise dans ses aspects maléfiques où son visage n'est tourné que vers son propre intérêt, utilisant tout son pouvoir de grandeur à des fins qui sont contre l’infini et l’éternel dans l’homme. » Ouais, alors voudriez-vous commenter à propos de ce que dit TAGORE ici ?
Olivier : Il dit ça ici et il le dit ailleurs, je veux dire, ce que vous avez dit à propos des gens qui pensaient que TAGORE était peut-être trop idéaliste, et rêveur, irréaliste. On pourrait dire que si vous arrêtez à ce livre et l'époque où il a été écrit. Mais si vous observez toute la vie de TAGORE, dès le début de son engagement public jusqu'aux derniers jours de 1941, ce qui m'a vraiment frappé et que cela m'a semblé très linéaire. Il va tout droit. Non qu'il ne puisse pas se tromper et ensuite il se corrige, mais dans l'ensemble, il est juste en train d'affiner ses pensées originales avec plus d'arguments. C'est à ce moment-là qu’après la guerre, il recommence à voyager en Europe. Il reste en France avec un homme appelé Albert KAHN et il était très proche de Romain ROLLAND, un écrivain français qui était communiste et très pacifiste parce qu'il s'était battu dans les tranchées de la Première Guerre mondiale et ils partageaient ce pacifisme. Mais ce qui me frappe aussi c'est que c'est probablement le seul homme dont j'ai entendu parler qui a réussi a tenu tête à Gandhi. Il était très respectueux, en fait c'est lui qui lui a donné le surnom de « Mahatma : Une grande âme » mais il voyait dans le mouvement du Congrès, Je veux dire le Congrès national indien à mesure qu'il se développait, un mouvement nationaliste qui importait potentiellement au moins, tous les défauts, tous les défauts du nationalisme occidental et il craignait que le combat que menait Gandhi. Il l'était alors, il avait été brièvement président du Parti du Congrès, et il n'était pas d'accord sur ce point et Gandhi a pris beaucoup de peine pour essayer de le convaincre avec, en vain. La seule chose que TAGORE n'a pas fait c'était de le critiquer publiquement, mais il n'a jamais signé le combat dans les mêmes conditions que Gandhi.
Anubandh : Oui, vous avez raison. Ce désaccord entre Gandhi et TAGORE était tout à fait important mais je ne dirais pas qu’il ne l'a pas critiqué publiquement parce que en 1925, il écrivit un essai qui s’appelle « Le Culte de la Charka » et dans lequel il critiquait le « mouvement Swadeshi » et a réprimandé…
Olivier : Oui, le mouvement Swadeshi, nous parlons du début du siècle, c'était sa première expérience politique, il était assez impliqué dans ça mais alors tous les excès du nationalisme il a vu là définir ses engagements d’avenir pour lutter contre le nationalisme.
Anubandh : D’accord et un autre argument que TAGORE avait contre Gandhi c'est que Gandhi se comportait avec les indiens comme s'ils étaient des enfants. TAGORE voulait les reconnaître comme des adultes ou en tant que citoyens, en tant que personnes capables de penser, je veux dire les gens qui pensent et ont des émotions et dans leur intégralité. Je pense que c'était une différence d'approche entre eux mais pour revenir aux critiques de TAGORE sur cette « civilisation politique de l'Occident », je propose de lire un petit passage et ensuite j'aurais votre commentaire, si vous l'avez et ensuite nous pouvons passer à autre chose…
Alors il dit, « La civilisation politique qui a surgi du sol de l'Europe et envahit le monde entier comme si une herbe prolifique était basée sur l’exclusivité. Il est toujours vigilant pour garder les extraterrestres à distance ou pour les exterminer. C'est carnivore. Ses tendances sont cannibales. Il se nourrit des ressources des autres et essaie d'avaler tout leur avenir. Il a toujours peur que les autres races accèdent à l'éminence, le qualifier de péril et essaie de contrecarrer tous les symptômes de grandeur en dehors de ses propres frontières, faire tomber les traces d'hommes plus faibles, être éternellement figé dans leur faiblesse. »
Olivier : Oui, c'est TAGORE ! Je veux dire, en fait, comme beaucoup de gens qui combattent le nationalisme il considérait que le nationalisme est exclusif, excluant. Éloigner les personnes considérées comme des ennemis. Mais lui, il est un « patriote ». Il aime l'Inde, il continue à rappeler à tous qu'il aime l'Inde, les Indiens et la culture indienne parce que le patriotisme est l'amour positif. Le nationalisme, selon lui, est la haine négative. Haine contre l'autre, alors beaucoup de gens pensent qu’il n'y a pas de différence entre le nationalisme et du patriotisme mais en fait, à son avis et de l'avis de nombreuses personnes qui suivent cette analyse, le nationalisme est l'exclusion de l'autre, alors que le patriotisme est l’appréciation positive pour ce que vous êtes.
Anubandh : Exactement et je pense que TAGORE et Pandit NEHRU, ils ont reconnu ce besoin humain de l'attachement que les humains ont avec leur culture, avec leur langue, leur pays… Donc, il faut le nourrir,je veux dire que cela doit être reconnu. En revanche, ils étaient contre les excès de ces tendances et ils l'appelaient le Nationalisme.
Maintenant, passons à autre chose. J'aimerais aussi parler des commentaires très pertinents que TAGORE a fait sur la façon dont la science est considérée et ce qu'il dit. Je le ferai à nouveau, c’est de lire quelques passages, puis vous inviter à y commenter.
Il dit donc : « La science n'est pas la nature de
l'homme. La vérité réelle est que la science n’est pas la nature de l’homme. Il
s'agit simplement de connaissances et de formation. En connaissant les lois de
l'univers matériel vous ne changez pas votre humanité profonde. Vous pouvez
emprunter des connaissances aux autres mais on ne peut pas emprunter du
tempérament ». Là il dit, il y a une
différence entre le tempérament en Occident et en Asie, à l'Est. « Mais au
stade imitatif de notre scolarité nous ne pouvons pas faire la distinction
entre l'essentiel et le non essentiel, entre ce qui est transférable et ce qui
ne l'est pas. C’est quelque chose comme la foi des primitifs. »
Cela fait donc le premier passage.
Je propose de lire le deuxième et ensuite je vous inviterai à y commenter.
Alors, dit-il, pourquoi la science est pour lui comme un sport. Donc, « La vie basée sur la simple science est attrayante pour certains hommes car il possède toutes les caractéristiques du sport. Cela feint le sérieux mais ce n’est pas profond. Quand vous partez à la chasse, moins vous avez de pitié mieux c'est, car votre objectif est de chasser le gibier et de le tuer, sentir que vous êtes le plus grand animal, que votre méthode de destruction est minutieuse et scientifique. Et la vie de la science est cette vie superficielle, il poursuit le succès avec compétence et minutie et ne tient pas compte de la nature supérieure de l'homme mais pour ceux dont l'esprit est suffisamment grossier pour planifier leur vie en supposant que l'homme n'est qu'un chasseur et son paradis le paradis des sportifs, seront brutalement réveillés au milieu de leurs trophées de squelettes et de crânes. »
C'est ce que je voulais lire.
Olivier : Oui, sur la base de ces passages on pourrait penser que TAGORE était contre la science mais il ne l'était pas. Il croyait fermement à l'unité entre l'être humain, la nature et la connaissance. Certainement il était méfiant et méprisait la science pure. De cette façon, vous ne pouvez pas l'appeler un scientifique, je veux dire, ouais.. Scientifique n'est pas le mot mais il n'y croyait pas aveuglément au progrès de la science. Il pensait que la science pouvait apporter des progrès et pourrait aussi avoir des aspects négatifs et encore… peut être, c'est le moment de dire ça… TAGORE n'était pas seulement un écrivain, un philosophe, un penseur politique... peu importe il met les choses en pratique et quand il a décidé contre la volonté de sa famille parce qu'il a pris beaucoup d'argent à sa famille pour ça et ils n'en étaient pas contents. Et il a créé l'école de Shantiniketan. Ce n'était pas au cœur de Calcutta. C'était dans un village (Bolpur), je veux dire à la campagne et il enseignait sous l'arbre et on pouvait dire : Oh… c'est une de ces natures naïves comme Gouru et tout ça… non il invitait des universitaires du monde entier pour venir enseigner et rester avec lui. C'est pourquoi il croyait à l'inclusion. Nous avons dit que le nationalisme est l'exclusion, il croyait à l’inclusion. Il prenait ce qui était bon ailleurs, il a pris ce qui était bon chez lui et il a essayé de former de meilleures personnes en leur enseignant et avoir des gens pour leur apprendre en communion avec la nature, en même temps qu'avec la connaissance. Donc, il croyait que certainement la connaissance était un atout et une nécessité pour les enfants, être de meilleurs citoyens, de meilleurs êtres humains et que vous devriez ramasser, afin de faire vos marchés et faire vos courses partout où (il y a) de bonnes choses et de tout fusionner dans cet enseignement.
Anubandh : Exactement et il était contre l’esprit de clocher. Il était contre la mesquinerie. Parce que cela nous empêche de voir plus large, puis choisir ou interagir. Mais je voudrais aussi faire une distinction. Je veux dire, faire la distinction entre la « science » et « l’esprit scientifique ». Parce que si vous lisez, si vous lisez son poème, « Let my country awake », je veux dire, il y a tellement de choses scientifiques là-dedans ! Il y invite, il y motive les Indiens à abandonner les vieilles habitudes, qui perdurent simplement au nom des traditions et de cultiver l’esprit scientifique (critique) et cette appel vient du plus grand poète de l'Inde ! Donc, c'est vraiment incroyable.
Avant de terminer ce chapitre, Je voulais aussi faire référence à cette hégémonie des États-Unis. J'y tiens beaucoup parce que quand je suis arrivé en France, je ne m'attendais pas à ce que les États-Unis, sa culture, soit si dominante, si présente en France. Par exemple, la plupart des Français ne parlent pas l’anglais, pour des raisons différentes. Pourtant, la musique, l’Hollywood, les films, la culture américaine (sont assez dominants en France)… même si vous prenez des livres d'histoire (scolaires) de France, vous trouvez qu'on y parle très souvent des Etats-Unis, ses différents États, sa culture, son industrie, son économie, etc.… et j'ai été assez étonné de cette domination pas seulement de l'Ouest, mais domination des Etats-Unis en France et en Europe ! Qu’en vous pensez de cette observation ?
Olivier : Je pense que ce n'est pas spécifique à la France, vous le trouverez dans beaucoup, même dans les pays d'Europe de l'Est, même si depuis des décennies ils étaient sous le contrôle de l'Union soviétique, Pourtant, peut-être pour cette raison en fait que la culture venant des États-Unis d'Amérique était répandue parmi les jeunes Et est très présent. Non, je pense que c'est certainement après la Seconde Guerre mondiale que les "G.I." sont venus avec leurs chewing-gums, leur chocolat et leurs films hollywoodiens et cela faisait partie du « soft power » que les États-Unis ont réussi à utiliser dans l’Europe et ailleurs dans le monde et cela a certainement influencé même notre culture. Même si les Français sont si fiers de ce qu'on appelle exception culturelle, etc. Mais oui, nous avons beaucoup emprunté aux États-Unis. Aucun doute là-dessus.
Anubandh : Ouais, c'était juste une observation. Mais passons maintenant à l'Est, car jusqu’à maintenant c'était une appréciation et des critiques envers l'Occident par TAGORE. Il fait la même chose avec l'Est et d'abord des choses qu'il a critiquées ou il parle également des accusations faites contre l'Est par l'Ouest,
Je propose de lire un petit passage où il dit, « On
disait de l’Asie qu'elle ne pourrait jamais avancer sur la voie du progrès. Son
visage était donc inévitablement tourné vers le passé. Nous avons accepté cette
accusation et en sommes venus à y croire en Inde. Je connais une grande partie
de notre communauté instruite, qui en a marre de ressentir l'humiliation de
cette accusation contre nous, elle essaie toutes ses ressources
d'auto-illusion, pour en faire une affaire de vantardise. Mais la vantardise
n'est qu'une honte masquée. Elle ne croit pas vraiment en lui-même. »
C'est donc un passage très important, puisque que tout cela est pertinent même aujourd'hui. Encore un petit passage que je lirais, puis je vous invite à y commenter. Ici il y a un exemple qu’il donne, un exemple très intéressant et ce qui m'intrigue c'est quand il compare l'Orient et l'Occident. Il compare l'Occident comme étant un « Sprinteur » et l'Orient en tant que personne qui court un « Marathon ». Je vais développer cela. Donc il dit que : « l'accusation est portée contre nous (l'Orient) que les idéaux que nous chérissons en Orient sont statiques. Qu'ils n'ont pas l'impulsion nécessaire pour bouger, pour ouvrir de nouvelles perspectives de connaissance et de pouvoir. Que les systèmes de philosophie qui sont les piliers des anciennes civilisations de l'Est, méprisent toutes les preuves extérieures, restant solidement satisfaits de leur certitude subjective. » C'est l'accusation.
Plus tard, il dit : « Vous ne faites aucun progrès. Il n’y a aucun mouvement en vous. » C'est
ce que reproche l'Occident a l’Orient et il dit, je lui ai demandé ou à cette
personne, « Comment le savez-vous ? Il faut juger le progrès selon son
objectif. Un train en marche progresse vers la gare terminale. C'est du mouvement
mais un arbre adulte n'a pas de mouvement défini de ce genre. Son progrès est
le progrès intérieur de la vie. Il vit avec son aspiration vers la lumière picotant
dans ses feuilles et rampant dans sa sève silencieuse. »
Ouais, c'est ce que je voulais présenter ici.
Olivier : Je n'ai pas beaucoup de commentaires à ce sujet. Je veux dire, je pense que c'est tout à fait pertinent et je dirais que, d'après ce que j'ai compris en le lisant c'est qu'il critique un certain nombre d'Asiatiques mais cela se réfère principalement aux Indiens dans ce cas, pour se sentir timide à l'idée d'avoir sa propre culture et en disant ça la seule science et culture peut venir de l’Occident. Par contre, il est plutôt sévère à propos de l'état d'esprit de nombreux Indiens et en particulier en faisant référence à la stratification en castes. Il n'est pas contre le système des castes en soi mais il est contre le système des castes étant une sorte de prison pour ceux qui sont placés dans une caste spécifique, ne peuvent pas en sortir et comment tout est décidé par l'autre. En gros, il est contre ce système. Il est pour la fluidification des relations entre les êtres humains, la nature et les peuples.
À un moment donné de son livre, il fait une étrange
comparaison entre la Suisse et l'Inde. Il dit, il avait soutenu jusque-là qu’en
Europe, ils peuvent parler de nation parce qu'ils sont des personnes homogènes.
Ainsi, la notion d’État Nation peut avoir un sens en Europe mais pas en Inde. Tant
de fois dans ce livre, il dit que l'Inde n'est pas une nation. Je veux dire, je
viens de lire une citation mais il y en a plusieurs autres.
« Nous qui ne sommes pas une nation, nous étions nous-mêmes. Nous sommes une non-nation. » Mais cela peut être compris comme dans le contexte du colonialisme, bien sûr, mais aussi en raison des différences ethniques et culturelles de tout le peuple, entre tous les gens qui composent, qui composent ce tout qu'on appelle l'Inde, avant même qu'il y ait un État indien, État fédéral. On l'appelait encore l'Inde. Je veux dire avant ça, mais il dit en Suisse, ils ont réussi à faire une unification malgré la diversité des groupes ethniques. Je suppose qu'il fait référence aux Italiens, Allemands et Français. Et il semble suggérer que ce serait une bonne idée pour l'Inde. Je veux dire être capable d'unir les gens tout en respectant leurs différences et se considéraient toujours comme un tout mais c'était un stade trop précoce de la réflexion, dans l'histoire de l'Inde, nous savons que bien plus tard, quelque chose a été construit. Mais c'est le cas. Je ne suis pas sûr que c'était déjà dans son esprit, mais il a souligné la difficulté d'en être une seule nation dans le sens où les Européens sont des nations. En Inde, avec tant de personnes différentes.
Anubandh : Ouais et c'est là que j'ajouterais aussi que TAGORE et NEHRU pour moi, ce sont les deux grandes personnalités de l'Inde qui n'étaient pas seulement enracinés… leurs pieds n'étaient pas seulement profondément enracinés dans la culture indienne et ses traditions mais ils avaient aussi cette vision tournée vers l'extérieur, qui non seulement a observée et étudiée, analysée les différentes cultures et sociétés et les pays du monde, ils ont fait des parallèles.. et ce qui est un processus est très naturel et compréhensible. Ils ont fait des parallèles avec l'Inde et il y a eu un échange, il y avait une invitation et ça je trouve vraiment incroyable !
Passons à autre chose et maintenant, nous arrivons
bientôt à la fin de cet entretien, mais j'aimerais prononcer quelques-uns de
ses propos sur le Japon et pourquoi il a qualifié le Japon comme étant un
exemple différent des autres pays occidentaux et il a également averti le Japon
d'une certaine manière,
Vous êtes différent et vous ne devrez pas faire les
mêmes erreurs parce que vous êtes, votre pouvoir est reconnu par l'Occident
dans votre force de destruction et dans le mal que vous pouvez apporter mais
cela ne peut pas être un critère qui mérite d'être poursuivi et il dit : « Ce
qui m'a le plus impressionné dans ce pays, qui est le Japon, est la conviction
que vous avez réalisé les secrets de la nature. Pas par des méthodes de connaissances
analytiques mais par la sympathie. Dominer la nature de l'extérieur est une
chose beaucoup plus simple que de lui faire la vôtre dans le plaisir de l'amour
qui est une œuvre de vrai génie ! » Et il dit que le génie du Japon
vous a donné la vision de la beauté de la nature et le pouvoir de le réaliser
dans votre vie.
Si vous voulez bien rebondir sur ces propos… à propos de ce chapitre japonais.
Olivier : Comme j'étais, je l'ai mentionné plus tôt, je veux dire, il s'efforce de convaincre les Japonais de ne pas emprunter la route, les routes de l'impérialisme qu'il prévoit, imiter l'Occident et son colonialisme, etc. Mais j'ai cité un passage où il disait qu'il n'était pas stupide pour ne pas comprendre que sa voix était faible par rapport à la force, le pouvoir des opinions en oppositions et aussi il mentionne très subtilement que ses conférences ont été critiquées, je veux dire ses interviews, ses œuvres, ses propos ont été critiqués dans les journaux japonais tout en le louant. Ils se moquaient un peu de sa naïveté, pour ainsi dire. Alors oui, il voit ce train qui va vers un mur ou vers un abîme nous ne savons pas et il voit que ça prend de la vitesse et il essaie. Sinon, pour l'arrêter, du moins pour détourner le chemin et il craint à juste titre de ne pas pouvoir pour l'arrêter ou pour détourner son chemin assez tôt.
Anubandh : En prenant
la plume de l'universalisme des écrits de TAGORE, je tiens à vous féliciter pour
les immenses travaux que vous avez faits sur l'Inde, l'intérêt que vous portez
à l'Inde et le nœud, le pont que vous construisez entre ces deux pays et ces
deux peuples. Je suis vraiment heureux de votre travail et de toute votre
contribution ! Merci Olivier pour cette discussion et j'espère que nous en
aurons beaucoup d'autres.
Olivier : Merci beaucoup!
Anubandh : Je vous en prie.
Olivier DA LAGE est ancien journaliste à RFI (Radio France Internationale). Il est spécialiste des questions internationales et est actuellement chercheur associé à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) où il suit la Péninsule arabique ainsi que l’Inde, pays dans lequel il séjourne plusieurs mois chaque année.
Il a publié une vingtaine de livres, principalement
consacrés au Golfe Persique et à l’Inde.
Anubandh KATÉ est un ingénieur base à Paris et est co-fondateur d’association, « Les Forums France Inde ».
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