Monday, November 3, 2025

Le Gujarat sous MODI - Partie 3

  

 

La prochaine génération ne connaîtra même pas la moitié de ce dont nous avons parlé aujourd'hui. – Christophe JAFFRELOT.

Dans cette troisième et dernière partie, je conclus mon entretien avec le professeur Christophe JAFFRELOT au sujet de son ouvrage novateur, « Gujarat Under Modi ». En novembre 2013, aucune maison d’édition n'était disposée à le publier et il a fallu attendre 2024 pour que Westland s'en charge.

Dans cette conversation fluide et directe, Christophe fait preuve d'une grande expertise. Ce faisant, il nous invite à la réflexion plutôt qu'à la réaction. Dans cet épisode, nous revenons sur les détails du terrible pogrom de 2002 au Gujarat et les nombreuses exécutions extrajudiciaires qui ont suivi. Nous mettons en lumière les noms des principaux responsables de la police, des membres du RSS et du « Sangh Parivar » qui ont ouvertement collaboré avec le gouvernement du Gujarat. Nous rendons également hommage aux nombreux journalistes d'investigation courageux, aux militants des droits humains, aux ONG, aux hommes et femmes politiques et aux policiers dévoués qui ont lutté pour la justice et la dignité humaine.

Au cours de ce dialogue, l'auteur renommé fait preuve d'une grande érudition en expliquant avec clarté des concepts tels que pogrom, terroriste, terrorisme, assassinats ciblés, violence sous-traitée, polarisation, politique de la peur, et bien d'autres. Christophe s'attaque à la psyché des politiciens pour comprendre pourquoi ils orchestreraient des exécutions extrajudiciaires. Surtout, il souligne la prééminence des processus sur les motivations, et des faits sur la rhétorique.

Christophe explore les liens étroits entre le groupe terroriste Abhinav Bharat, le RSS et le BJP. Regardez également l'interview pour connaître ses réponses à mes questions : « Le RSS peut-il être qualifié d'organisation terroriste ? Narendra MODI peut-il être tenu responsable d'actes de terrorisme ? »

Voici la troisième partie d'une série d'entretiens passionnants avec le professeur Christophe JAFFRELOT !

https://www.youtube.com/watch?v=5G7s5NZV-OA

 



Anubandh : Bonjour à tous ! Je m’appelle Anubandh KATÉ. Je suis ingénieur à Paris et je suis une persone chanceuse puisque le professeur Christophe JAFFRELOT a très généreusement accepté d'echanger avec moi. Nous poursuivons donc aujourd'hui la troisième et peut-être la dernière partie d'une série d'interviews consacrée à son récent et éminent ouvrage, « Gujarat sous MODI ». 

Bienvenue, Christophe ! 

Christophe : Merci, Anu, pour l'invitation. 

Anubandh : Je vous en prie. Je vais donc passer sous silence votre présentation détaillée, comme nous l'avons déjà faite lors de nos précédents entretiens. Je tiens néanmoins à préciser que vous êtes professeur de politique et d'histoire de l'Asie du Sud au CERI (Centre d'Études et de Recherche International) de Sciences Po Paris. Vous êtes également directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Et je ne cesserai de répéter que vous avez écrit plus de 24 ouvrages sur l'Inde et 7 sur le Pakistan ! 

Christophe, j'aimerais que cette séance se concentre sur deux événements majeurs de l'histoire du Gujarat, en quelque sorte une histoire politique : le pogrom de 2002 et les exécutions extrajudiciaires qui ont suivi.

Cependant, avant d'aborder ce sujet, j'ai une question préliminaire. Lors de la dernière séance, compte tenu des escarmouches entre le Pakistan et l'Inde, qui ont débuté le 7 mai 2025, juste avant ce jour, vous aviez déclaré qu'il était important qu'il existe entre ces deux pays un minimum de confiance fondamentale. Je crois que lorsque vous avez évoqué cette confiance, vous faisiez surtout référence aux diplomates ou aux institutions politiques. Cependant, cette question concerne aussi les peuples – Pakistanais et Indien – et la confiance – ou plutôt l'absence, la diminution – entre eux. 

Par exemple, je ne citerai que deux exemples sur Twitter. Une utilisatrice pakistanaise a écrit : « Ce qui est déchirant, c’est que beaucoup de gens en Inde ne veulent tout simplement pas de nous, c’est-à-dire des Pakistanais. Ils veulent notre mort à tous. » 

Deuxièmement, Shehzad Ghias SHEIKH, présentateur de « The Pakistan Experience », a déclaré : « Nous ressentons la haine qui vient d'Inde. C'est ce que Zia Ul-Haq a fait subir à de nombreux Pakistanais. Si vous nous attaquez, nous n'aurons d'autre choix que de nous défendre et de riposter. »

Je suis sûr que des propos similaires s'expriment également du côté indien. Mais comment percevez-vous toute cette haine, la façon dont les grands médias (indiens) ont dénaturé la réalité ? Ils ont même déclaré avoir attaqué Karachi, conquis Islamabad, Lahore, etc. Pourriez-vous commenter cela ? 

Christophe : Je comparerais cela à ce que je vois lorsqu'un Pakistanais et un Indien se rencontrent. Bien sûr, de préférence à l'étranger, car il est plus difficile de traverser la frontière de nos jours. Mais dès qu'on organise une conférence, dès qu'on a l'occasion de rencontrer et d'échanger entre Indiens et Pakistanais, ils réalisent immédiatement qu'ils viennent du même milieu – culturel et historique. D'ailleurs, mes recherches depuis 2019 se déroulent à Kartarpur, au Pakistan. Kartarpur est le lieu où Guru Nanak a vécu et a fondé le sikhisme. C'est un lieu où l'on accueille des pèlerins venus d'Inde sans visa. Bien sûr, lorsqu'ils traversent la frontière pour la première fois, ils sont particulièrement nerveux car ils se trouvent dans le pays ennemi numéro un. Cependant, ils viennent pour Guru Nanak. Et pas seulement des sikhs. Il y a aussi des hindous, des musulmans, et toutes sortes de personnes. Très vite, ils réalisent que ces Pakistanais, surtout lorsqu'ils sont Pendjabis, et que les Indiens le sont aussi, parlent la même langue, mangent la même nourriture, s'habillent de la même manière et partagent donc la même culture. Au final, ils en sont tellement conscients qu'ils sont très tristes de partir si tôt. Ils resteraient. C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles il est si difficile d'obtenir un permis de passage, car les gouvernements refusent cette reconnaissance d'une identité commune. C'est d'ailleurs le cas en Hindoustan, dans la partie sud-asiatique composée du Pakistan et de l'Inde. Et c'est la même chose du côté bengali, bien sûr.

Je relativise donc ces discours de haine, mais je ne sous-estime absolument pas leur impact. D'autant plus que les gens ne peuvent plus traverser aussi souvent, se rencontrer aussi souvent. C'est de plus en plus difficile. Du coup, l'autre devient quelqu'un auquel on ne s'identifie même plus. On observe ce type d'altérité, particulièrement présente chez la jeune génération, car la génération qui a connu la Partition est en train de disparaître. Par conséquent, ceux qui entretenaient des liens étroits, familiaux ou autres, quittent la scène et les nouvelles générations, si elles ne rencontrent jamais l'autre, peuvent facilement le diaboliser. Et c'est l'une de nos missions, en tant qu'universitaires, de montrer qu'ils sont issus de la même souche. 

Anubandh : Je suis tout à fait d'accord. Même sur le plan personnel, je me sens extrêmement chanceux de pouvoir rencontrer ici (en France) des Pakistanais et d'interagir avec eux. Cependant, il y a cette réalité : eux et moi représentons aussi une certaine élite indienne et pakistanaise qui pourrait s'expatrier. J'espère au moins que le lien sikh préservera les liens d'amitié entre ces deux peuples. 

Merci pour ce commentaire. 

Abordons maintenant le sujet du pogrom du Gujarat. La première question est : s’agit-il d’un pogrom ou d’une émeute ? Je sais que c’est une question très problématique, mais elle est importante. Pourriez-vous y répondre ? 

Christophe : Eh bien, ce n'est pas si problématique si l'on applique des définitions appropriées. Vous savez, c'est ce que les chercheurs en sciences sociales sont censés faire : utiliser des concepts, des notions analytiques. Un pogrom est un phénomène que nous avons déjà observé. Les Juifs ont été les principales victimes en Europe, au Moyen Âge et au cours des siècles suivants. La définition d'un pogrom s'applique à ce que nous avons vu au Gujarat en 2002, à Delhi en 1984 et à Nellie, en Assam, en 1983. C'est toujours la même histoire. Un très grand nombre de victimes provenaient de la même communauté. Il ne s'agit donc pas d'une émeute, car il n'y a pas de victimes des deux côtés. Il y a principalement des victimes d'un seul côté. De plus, cela se produit avec l'aide, ou du moins le soutien tacite, de l'État. Ainsi, lorsque la police n'intervient pas ou qu'elle vient en aide aux assaillants, qui appartiennent à la communauté majoritaire, on entre également en jeu, un autre critère pour définir ce qu'est un pogrom. Quand on réunit ces deux critères, ce n'est plus une émeute. C'est plus qu'une émeute. 

Anubandh : Puisque nous en sommes au niveau conceptuel, je suis tenté de vous demander une définition supplémentaire. Il s'agit du mot « terroriste », en tant qu'individu ou organisation. Comment définiriez-vous, certifieriez-vous qu'une personne ou une organisation est terroriste ? 

Christophe : Eh bien, encore une fois, la seule solution pour ce type de définition est d'examiner les processus plutôt que les motivations. Le terrorisme se définit par la violence déchaînée, la plupart du temps, contre des cibles très vulnérables, les civils. Certainement plus que tout autre groupe, avec l'intention de terroriser, d'impressionner, de créer un impact psychologique. C'est l'une des raisons pour lesquelles les attentats-suicides ont également été encouragés par certains groupes terroristes. Car lorsqu'on a le courage de se suicider, de tuer les autres, on terrorise encore plus. 

Par conséquent, je n'ai pas besoin de parler de motivations, d'idéologie ou de politique identitaire. Car on trouve des terroristes parmi toutes sortes de groupes. Vous savez, les Tigres tamouls, les djihadistes… Tant de groupes. Les accusés de Malegaon, Abhinav Bharat, vous savez, ont tous eu recours au terrorisme. Voilà pour les groupes terroristes.

Certains disent que le terrorisme est aussi d'origine étatique. Voilà le terrorisme d'État, étatique. Soit dit en passant, le mot « terreur » a été utilisé pour la première fois pendant la Révolution française, lorsque, sous Robespierre, dans les années 1790 – début des années 1790 – on terrorisait la population en tuant – au nom de la défense de l'État, au nom de la révolution – des dizaines, des centaines, des milliers de personnes. On peut donc aussi appliquer le terme « terrorisme » aux actions d'État, mais c'est plus complexe et, généralement, on ne le fait pas. Néanmoins, on peut certainement considérer aujourd'hui la guerre d'Israël contre la population de Gaza comme une forme de terrorisme. Il s'agit de terrorisme d'État, après que le Hamas a eu recours à une autre forme de terrorisme. Cependant, l'objectif est avant tout de terroriser. Il s'agit essentiellement de faire comprendre aux victimes et aux civils qu'ils sont les principales victimes. 

Anubandh : Deux brèves remarques à ce sujet, car l'un des contre-arguments des défenseurs pakistanais était que même le Canada avait accusé l'État indien de terrorisme lorsqu'il avait tué un ressortissant canadien d'origine sikh sur son territoire. Il s'agissait donc d'un acte de terrorisme pour eux. C'est un argument. 

J'ai vu récemment un habitant du Cachemire interviewé par un journaliste. Ce dernier lui a demandé : « Avez-vous dans votre famille quelqu'un lié à des groupes terroristes ? » L’habitant du Cachemire a répondu : « Je suis désolé. Je n'ai personne de lié au RSS. »

La question est donc : le RSS est-il une organisation terroriste ? Narendra MODI peut-il également être tenu pour responsable de terrorisme ? 

Christophe : Concernant les Khalistanis au Canada, ou les attaques contre les Khalistanis, au Canada et aux États-Unis, le terme « terrorisme » est probablement inapproprié, car il s'agit plus précisément d'un assassinat ciblé. L'objectif est d'éliminer quelqu'un. La méthode diffère d'une attaque terroriste visant à influencer, à affecter, à impressionner. On peut dire qu'elle peut avoir un impact décisif sur d'autres, mais il s'agit en réalité d'un individu ciblé. Ce n'est pas la même chose que de tuer des dizaines de civils. Premièrement, parce que ce civil est assurément un idéologue ou un militant. Deuxièmement, il est seul. C'est pourquoi j'utilise le terme « assassinat ciblé » pour désigner ce type de tentative d'élimination. 

En tant qu'organisation, le RSS adopte un mode opératoire radicalement différent. Il préfère sous-traiter la violence à d'autres groupes plutôt que d'y recourir. L'objectif est bien sûr de convertir, de conquérir la conscience. On peut donc intimider. On peut aussi faire preuve de force, et c'est pourquoi on voit défiler des milliers de volontaires du RSS, affichant discipline et force, brandissant parfois des armes, y compris des épées, et pas seulement des lathis (bâtons). Certes, l'objectif est d'impressionner, d'avoir un impact, mais sans recourir à la violence, en évitant d'y recourir (directement). Lorsque la violence est utilisée, c'est principalement parce qu'elle a été sous-traitée à d'autres groupes, qui peuvent rendre des comptes au RSS, qui peut faire partie du Sangh Parivar. Mais il ne s'agit pas du RSS à proprement parler. 

Anubandh : Donc, si je vous ai bien compris, les autres groupes affiliés pourraient potentiellement être qualifiés de groupes terroristes, mais apparemment pas directement le RSS étant comme une organisation terroriste. 

Christophe : Et si l'on considère les groupes terroristes, par exemple Abhinav Bharat, il a été accusé par le CBI (Bureau central d'enquête) et la NIA (Agence nationale d'enquête) d'être responsable d'une demi-douzaine d'attentats à la bombe. Tel était leur mode opératoire. Ainsi, Samjhauta Express, Maleagon, Ajmer, la mosquée de La Mecque… Il y a une demi-douzaine de cas différents. Abhinav Bharat était composé d'anciens cadres du RSS, d'anciens pracharaks ou de swayamsevaks dissidents. Des yogis vêtus de safran étaient également présents. On comptait également un ancien député du BJP (Pragya Singh THAKUR) de New Delhi. Il y avait aussi des personnes issues de la tradition savarkarite, dont Himani SAVARKAR, issu de la même famille. Il y avait aussi quelques anciens militaires ou militaires d'active, dont le colonel Shrikant PUROHIT. C'était une organisation très hétéroclite, et il est difficile de dégager une direction précise à l'écoute de leurs réunions. En fait, on m'a remis le FIR (First Information Record) accessible à un journaliste indien qui était trop timide pour l'utiliser lui-même. J'ai donc pu consulter les transcriptions de leurs réunions, car elles étaient toutes enregistrées. J'ai écrit un long article dans EPW (Economical and Political Weekly) à ce sujet. Je ne sais pas s'il est toujours disponible en ligne, car, bien sûr, la censure fait son travail. Néanmoins, j'ai utilisé ces sources pour illustrer l'origine du phénomène. Il s'agit d'une sorte de bricolage, sans ligne de conduite claire. Pourtant, vous savez, ce n'est pas si exceptionnel. De nombreux groupes terroristes sont le fait d'amateurs. Ils ne sont pas forcément très disciplinés et organisés. Par conséquent, le critère principal que je retiens, je le répète, est le recours à la violence contre des civils très vulnérables et la volonté d'avoir un impact psychologique profond sur cette communauté. C'était toujours le cas. 

Anubandh : D'accord, merci. 

Venons-en maintenant au cœur du sujet. Il s'agit notamment de l'incendie du Sabarmati Express. Narendra MODI a utilisé cet argument pour justifier la théorie de l'action-réaction. Votre livre présente différentes versions des enquêtes que vous avez traitées et vous avez tenté d'approfondir la question pour découvrir la vérité. Pourriez-vous nous dire quelle est, selon vous, la version la plus plausible des événements ? 

Christophe : Il est très difficile de déterminer la séquence d'événements la plus plausible. Différentes hypothèses existent. Soit l'incendie a pris de l'intérieur, comme l'a révélé l'enquête. Il ne s'agissait pas d'éléments extérieurs, mais de personnes internes. Le problème était que des éléments extérieurs empêchaient les personnes à l'intérieur de quitter les wagons. L'autre hypothèse, bien sûr, est celle d'attaques extérieures, avec des bombes incendiaires.

Ce qui est le plus important pour moi, ce n'est pas tant la séquence des événements, mais plutôt l'interprétation que vous en donnez. La question principale est : était-ce planifié ? Ou s'agissait-il d'une action ou d'une réaction plus spontanée ? Il y a certainement eu une attaque, empêchant les personnes internes de quitter les wagons ou responsables de l'attaque elle-même. Or, le fonctionnaire responsable du district, arrivé sur le quai de la gare de Godhra, a immédiatement conclu qu'il n'y avait aucune preuve d'une action planifiée. Cela rend l'attitude de Narendra MODI d'autant plus suspecte qu'il a attribué cette attaque au Pakistan, et même à des assaillants pakistanais sponsorisés par l'ISI (Inter-Services Intelligence). En réalité, il n'était pas le seul. Plusieurs dirigeants du BJP, même à Delhi, ont fait de même. La question est alors devenue politique. En tant que politologue, je m'intéresse davantage à la manière dont un fait encore inexpliqué est instrumentalisé à des fins politiques. La même conclusion découle du fait que les corps des 56 personnes décédées ont été transportés à Ahmedabad et diffusés à la télévision ad nauseam pour créer l'effet nécessaire en termes de polarisation. Le mot-clé ici est la polarisation. L'idée est de polariser la société à des fins politiques. Ça marche. Franchement, ça a marché. 

Anubandh : Ce que nous savons avec certitude, c'est l'exploitation politique de cet événement, car il y a des preuves de cela données par Narendra MODI.

Néanmoins, je voudrais souligner quelques points essentiels que j’ai appris dans votre livre. Si je ne me trompe pas il s'agit du fait que le train venait de l'Uttar Pradesh. Il y avait près de 50 % – peut-être 70 à 75 % – de karsevaks (qui signifie « serviteurs du dieu Hindou » en hindi) très agressifs. Les autres passagers, notamment les musulmans, étaient constamment hués. Je crois qu'une famille a également été obligée de descendre du train, et la situation a atteint son paroxysme lorsque le train est arrivé dans une localité majoritairement musulmane. Il y a eu des escarmouches et des disputes. Voilà ce que nous savons.

Il existe ensuite différentes commissions. Nous avons la Commission Nanavati, qui soutenait en quelque sorte la version des évènements de gouvernement du Gujarat. À son arrivée au pouvoir en 2005, suite à la victoire de l'UPA (Alliance Progressiste Unie), le ministre des Chemins de fer de l'époque, Lalu Prasad YADAV, a nommé la Commission Banerjee de l'UC. Cette commission a remis un rapport en 2005, concluant que l'incendie du wagon qui a fait 59 morts à Godhra en 2002 était accidentel et non prémédité. Il s'agissait d'un accident. De plus, en mars 2005, la Haute Cour du Gujarat a émis une ordonnance de suspension, interdisant la mise en œuvre du rapport de la Commission Banerjee de l'UC. En octobre 2006, la Haute Cour du Gujarat a déclaré la Commission Banerjee illégale. Il y avait donc aussi des considérations politiques dans cette affaire. 

Vous avez également parlé de l’enquête Tehelka d’Ashish KHETAN où il est revenu sur la théorie selon laquelle l’essence était achetée à la station de l’essence et les aveux des musulmans arrêtés étaient incohérents. 

Alors, en général, comment situeriez-vous dans un contexte tous ces rapports d'enquête qui n'ont pas vraiment progressés ? Enfin, tiendriez-vous le Congrès et le gouvernement de l'UPA responsables de ne pas avoir suffisamment agi pour garantir qu'une enquête équitable soit menée et que les responsables soient condamnés pour leurs actes ? 

Christophe : Eh bien, vous savez, la police est une compétence étatique, et même la Cour suprême n'a pas pu éviter la création d'une équipe spéciale d'enquête (SIT), dont la police du Gujarat était en grande partie responsable. Ainsi, lorsque le système judiciaire, la police et la bureaucratie de l'État ont été pris au piège, il est difficile, dans une fédération comme l'Inde, d'en faire plus. La Cour suprême aurait pu demander au CBI d'enquêter. S'il y a une erreur quelque part, je pense qu'elle se trouve là. Cependant, vous savez, ce n'était même pas suffisant. Finalement, lorsque les exécutions extrajudiciaires sont devenues très importantes, le CBI a été chargé d'intervenir. Satish Chandra VERMA a été responsable de l'incarcération d'Amit Shah, qui s'est ensuite vu interdire l'entrée au Gujarat pendant un certain temps. Néanmoins, ce fut le point culminant car le reste n’était pas accessible. En 2012, Amit Shah était de retour au Gujarat, et ils pouvaient remporter les élections régionales, tout comme lui… C'est précisément pourquoi je qualifie le Gujarat de laboratoire de l'Inde d'aujourd'hui. Car la façon dont l'État et ses principales institutions ont été conquis au Gujarat a servi de modèle à la façon dont ces mêmes institutions ont été progressivement conquises au niveau national après 2014. 

Anubandh : Oui, en effet, car cet argument est souvent utilisé, selon lequel même la Cour suprême a donné un « clean chit » (blanchiment) à  l’actuel Premier ministre (Narendra MODI). 

Christophe : Oui, « clean chit » est un grand mot, car ils ne sont pas allés aussi loin. Mais ils n'ont pas non plus insisté pour une enquête complète. Ce fut le début de la fin pour la Cour suprême de l'Inde, qui est bien sûr encore plus basse aujourd'hui. 

Anubandh : C’est vrai, et je dirais aussi que Narendra MODI est resté au pouvoir et dans une position d’influence alors qu’il était en procès, ce qui est contraire à tout principe normal de justice. 

Passons maintenant à quelques aspects importants de ce pogrom. Vous avez écrit que ce qui était remarquable cette fois-ci était la propagation des violences urbaines aux villages. La violence ne se limitait pas aux zones urbaines, mais s'est également propagée aux villages. Ensuite, vous avez évoqué l'implication des Dalits et des Adivasis, leur instrumentalisation par le BJP pour commettre des massacres de musulmans. Vous avez également mentionné que des armes provenaient du Pendjab. Il y avait donc une certaine planification. Vous avez précisé que l'armée avait été empêchée d'entrer sur les lieux. Pendant plusieurs heures, aucun moyen de transport n'a été prévu pour l'armée depuis l'aéroport d'Ahmedabad jusqu'à la ville. Le chef de l'armée – j'ai oublié son nom – a déclaré qu'il trouvait les fonctionnaires du Gujarat complètement communautarisés et qu'il n'y avait pas grand-chose à attendre d'eux. Oui et, en ce qui concerne l'enquête finalement, comme il y avait tellement de problèmes, elle a apparemment été réduite à quelques cas, comme la Société Gulberg, Naroda Patiya, Bilkis Bano, et c'est malheureux car il y a eu tellement de meurtres et d'autres cas graves. 

Christophe : C'est aussi parce que les ONG ont estimé plus réaliste de ne pas poursuivre toutes les affaires. Et finalement, elles ont convenu de réduire ce nombre à huit. Pour elles, cela suffirait à marquer les esprits, à marquer l'histoire. En fait, et c'est pourquoi je serais plus nuancé que l'image que vous venez de donner : pour la première fois dans l'histoire des émeutes communautaires en Inde, des personnes ont été déclarées coupables et emprisonnées ! Elles ont ensuite été libérées. Babu BAAJARANGI, par exemple, a été emprisonné. Vous avez eu des juges très courageux – des femmes, souvent – ​​qui sont allés jusque-là. De même, il convient de souligner le rôle des policiers, qui ont fait leur travail correctement. Néanmoins, certains d'entre eux sont actuellement en prison ou en liberté sous caution. Beaucoup sont à l'étranger. Ils sont partis. Ils ont été mis à l'écart. Ils ont bien sûr été sanctionnés. Cependant, ils ont fait leur travail. Ils ont essayé de le faire correctement. C'est un point qu'il convient également de souligner. 

Anubandh : Effectivement. Dernière question sur le pogrom, puis nous passerons aux exécutions extrajudiciaires. À ce sujet, plusieurs ouvrages importants ont été écrits par des journalistes, notamment Siddharth VARADARAJAN, Ashish KHETAN, Rana AYUB et Harsh MANDER. Je ne sais pas si Sanjeev BHAT a écrit un livre, peut-être ? 

Christophe : Non, il ne l'a pas fait. 

Anubandh : D'accord. Alors, la question est : quel regard portez-vous sur ces livres ? En recommanderiez-vous d'autres ?

Christophe : Ces livres sont très instructifs. Vous savez comment ils ont travaillé en tant que journalistes ou militants, car Harsh est un représentant d'ONG. Et les autres sont d'excellents journalistes, des journalistes d'investigation. Par conséquent, ces livres sont très riches et j'ai pu les utiliser. J'ai pu utiliser des entretiens, mais je n'ai jamais mentionné personne, pour ne pas mettre les gens en danger. Cependant, les informations publiées étaient de premier ordre, car ce sont des journalistes très professionnels et compétents. 

Le travail des universitaires est quelque peu différent. Ils ne se contentent pas d'informer comme les journalistes informent le public. Ils tentent aussi d'interpréter. Pourquoi cela s'est-il produit ? Quelle en est la raison ? Et la principale raison, je le répète, était la polarisation. Narendra MODI, dès qu'il a pu dissoudre l'Assemblée nationale, l'a faite et a tenté d'organiser des élections au plus vite. La Commission électorale est intervenue et a demandé comment organiser des élections alors que plus de 150 000 personnes sont sans abri. Or, L. K. ADVANI, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur, a insisté et les élections ont finalement pu avoir lieu. C'est la principale raison de tout cela. Le BJP pourrait remporter ces élections grâce à une corrélation fascinante que nombre de mes collègues spécialistes des études électorales ont soulignée. C'est dans les districts, dans les circonscriptions, où le nombre de victimes est le plus élevé, que le BJP a remporté le plus grand nombre de sièges. C'est de la polarisation à des fins électorales. 

Anubandh : En effet. Une dernière chose concerne un article que j'ai découvert aujourd'hui. Il date de 2017, paru dans « India Today », et qui concernait Sanjiv BHATT. Je vais lire ces quelques lignes : 

« Sanjiv BHATT affirme qu'une jeune journaliste d'investigation a été contrainte de modifier le scénario de son livre par crainte d'être publiquement déshonorée pour sa relation amoureuse avec un agent de l'IPS (« Indian Police Service »). Il ajoute que, selon BHATT, la jeune journaliste a écrit un récit captivant et fantaisiste de ses exploits journalistiques au Gujarat, mais a pris un soin particulier à occulter le rôle du ministre en chef (Narendra MODI) de l'époque dans la préparation du carnage. En échange, le livre a été autorisé à être publié et diffusé sans aucune entrave. Il a déclaré que ce qui aurait pu être la fin de la relation politique pour le duo politique. » – et je pense qu'il s'agit d'Amit Shah et de Narendra MODI du Gujarat – « la fin de la relation journalistique pour la jeune journaliste d'investigation s'est transformée en une situation gagnant-gagnant pour les deux parties. »  

Si je ne me trompe pas, il fait référence à Rana AYUB. Qu'en pensez-vous ? 

Christophe : Je ne sais pas, je n'en ai aucune idée. D'habitude, je ne me lance pas dans des querelles personnelles. Ce genre de polémique ne m'intéresse pas. 

Anubandh : D'accord. 

Commençons maintenant par les exécutions extrajudiciaires qui ont eu lieu après les émeutes. Les cas sont nombreux. Je vous propose de partager mon écran. J'en ai sélectionné quelques-unes pour vous en présenter un résumé. Je les ai résumées et je vous inviterai à me faire part de vos commentaires ultérieurement. 


Nous avons donc Sameer KHAN, Kasam JAFAR, Haji Haji ISMAIL, puis Sadiq JAMAL, Ishrat JAHAN, Shoharabuddin SHEIKH. C'était une affaire d'extorsion contre lui. Tulsiram PRAJAPATI – il faisait partie du racket de Soharabuddi n et a également été témoin de son meurtre. 

Christophe : Ceux qui souhaitent en savoir plus peuvent lire le livre. L'idée est la suivante : la police du Gujarat a identifié des terroristes originaires du Pakistan ou soutenus par des organisations pakistanaises comme le Lashkar-e-Taiba (LeT) ou le Jaish-e-Mohammed (JeM) et affirme que ces individus sont venus pour assassiner Narendra MODI. C'est pourquoi ils les ont tués. L'autopsie a montré que, dans de nombreux cas, ils n'ont pas été tués dans le dos alors qu'ils fuyaient. Ils ont été clairement exécutés. De plus, plusieurs policiers ont été impliqués dans une demi-douzaine d'affaires. Vous en avez cité la plupart. Le plus éminent agent de l'IPS (Indian Police Service) était M. VANZARA. L'enquête a abouti à l'arrestation de plus de vingt policiers. VANZARA et ces vingt policiers ont été emprisonnés pendant une longue période. Cela faisait si longtemps qu'à un moment donné, VANZARA a écrit une longue lettre accusant Narendra MODI et Amit SHAH de les avoir laissés tomber. Cette lettre est vraiment intéressante, car elle montre ce qui s'est passé et pourquoi tout cela a été orchestré, manigancé. 

Anubandh : Christophe, désolé de vous interrompre. Vous avez mentionné cette lettre dans le livre. Je vous propose d'en lire un court extrait, car je pense qu'il mettra en lumière votre propos. 

« Ainsi, en septembre 2013, VANZARA, qui venait d'être de nouveau arrêté pour son rôle dans l'affaire Ishrat JAHAN, a démissionné de la police du Gujarat. Dans sa lettre de démission, il expliquait avoir souffert jusque-là en silence uniquement grâce à « ma foi inébranlable et mon profond respect pour Narendra MODI, le ministre en chef du Gujarat, que j'adorais comme un dieu. Mais je suis au regret de dire que mon Dieu n'a pas pu se montrer à la hauteur sous l'influence néfaste d'Amit Shah. » 

La lettre de VANZARA est révélatrice des implications de la collusion ambiante. Il a déclaré qu'il partait du principe que la protection mutuelle et l'assistance réciproque étaient la règle tacite entre la police et le gouvernement dans de tels cas. De fait, VANZARA avait bénéficié de la bienveillance du gouvernement. En seulement cinq ans, de 2002 à 2007, il a été promu de commissaire adjoint de police à la brigade criminelle d'Ahmedabad à inspecteur général adjoint de police à la brigade antiterroriste d'Ahmedabad, puis inspecteur général adjoint de la police (DIG - Deputy Inspector General of police) frontalière de la division de Kutch. »

Christophe : Donc, vous voyez encore, en tant que politologue, il y a deux choses qui m’intéressent beaucoup. 

L'une d'elles, bien sûr, est la motivation des policiers. Cette motivation peut être de plaire aux dirigeants politiques, d'obtenir une promotion. Ils peuvent même, de leur propre initiative, décider de faire preuve d'un grand zèle et d'anticiper les attentes des politiciens, attentes que ces derniers n'ont peut-être même pas. Cela relève du point de vue des policiers, et ce n'est pas si compliqué à comprendre, en réalité. 

Du côté des politiciens, pourquoi agiraient-ils ainsi ? Pourquoi organiseraient-ils d’exécutions extrajudiciaires ? Quel est leur objectif ? Il se pourrait bien que ce soit ce que l’on appelle la politique de la peur. C’est un concept utilisé en sciences politiques. La politique de la peur consiste à tenter de propager un sentiment de vulnérabilité, un sentiment de peur, car si les gens ont peur, s’ils se sentent vulnérables, ils ont encore plus besoin d’un protecteur, d’un sauveur, d’un homme fort, d’un « chowkidar » (un gardien), pour reprendre un terme qui reviendra. Pourtant, cette idée existait déjà au Gujarat. L’idée que MODI était un « chowkidar » du Gujarat était déjà présente en 2009-2010. On assiste donc à cette orchestration d’exécutions extrajudiciaires pour cultiver un sentiment de peur, une politique de la peur qui a en réalité le même résultat que le pogrom : la polarisation. L’idée est de constamment démontrer l’existence d’une menace et, en réaction à cette menace, le gouvernement agit comme il se doit. 

Anubandh : En général, l'attitude observée consiste à punir les policiers honnêtes et à récompenser les complices, ce qui constitue la motivation. On a également observé des cas de manipulation du système judiciaire. 

Maintenant je vous présente une liste d’éminents hommes politiques qui ont été accusés dans toutes ces exécutions extrajudiciaires. 

 

Commençons bien sûr par Narendra MODI, alors ministre en chef. Il a été saisi d'une pétition par Zakia JAFRI.

Ensuite, nous avons Amit SHAH. Il était ministre de l'Intérieur. Il a été accusé d’exécutions extrajudiciaires et d'implication dans une affaire d'extorsion impliquant Soharabuddin et l'officier de police Abhay CHUDASAMA. Amit SHAH a été arrêté en 2010. Nous avons aussi Maya KODANI. Elle était députée. Elle a tiré avec son pistolet et a incité la foule à se mobiliser lors du pogrom. Elle a été condamnée à 28 ans de prison en 2012. 

Puisque nous parlons des hommes politiqus, j'aimerais également citer deux du Congrès : Arjun MODHWADIA et Shakti Singh GOHLI, que vous avez mentionnés dans le livre. Ils ont constamment soulevé des questions et ont critiqué le gouvernement concernant sa gestion des exécutions extrajudiciaires et du pogrom. 

Christophe : Non, le parti d'opposition a assurément fait son travail, tout comme les représentants des ONG. Il y avait une enquête constante, non seulement de la part des ONG, mais aussi de la part des journalistes. D'ailleurs, nous connaissons l'affaire Soharabuddin grâce à un journaliste qui a résisté à toutes sortes d'intimidations. Et bien sûr, grâce aux policiers. J'ai mentionné Satish VERMA. C'était un personnage très important. 

Et oui, Prashant DAYAL est l’homme (journaliste) auquel je faisais référence. 

Anubandh : Prashant DAYAL est celui qui a commis l'affaire des exécutions extrajudiciaires. Les autres se sont davantage occupés du pogrom. Et les militants d'ONG ont également joué un rôle majeur. Nous avons Ashish KHETAN, Siddharth VARADARAJAN, Rana AYUB et Prashant DAYAL dont vous avez parlé. 


J'ai également dressé une petite liste des ONG impliquées. Nous avons « Citoyens pour la paix et la justice », ANHAD (Agir maintenant pour l'harmonie et la démocratie) et Janvikas. Parmi les militants, on compte Teesta SETALVAD, Harsh MADAR, Shabnam HASHMI, Gagan SETHI, le Père Cédric PRAKASH, Mukul SINHA, Shiv VISHWANATHAN qui, avec R.K. RAGHAVAN, a écrit au président du SIT (Special Investigation Team). Nous avons également Mallika SARABHAI, Javed AKHTAR, B.G. VERGHESE et quelques autres. 

 

 

Christophe : Non, c'est une excellente liste. Je préfère ne pas dévoiler les autres.

Anubandh : Je vous comprends. Pas de problème.

J'ai également préparé une liste des idéologues et militants du RSS-VHP qui ont été accusés ou impliqués dans cette affaire.

Je reviens au pogrom. Nous avons ici Pravin TOGADIA, chef du VHP. Babu BAAJARANGI. J'aimerais parler un peu de Babu BAAJARANGI, car il était… Comme vous l'avez mentionné lors de nos dernières conversations, le BJP n'est pas une famille homogène comme ils nous le prétendent. Il existe parfois des tensions entre Narendra MODI et le VHP (Vishwa Hindu Parishad), TOGADIA. À tel point qu'apparemment, le gouvernement du Gujarat s'est opposé à l'annulation de la condamnation de Babu BAAJARANGI. Cela en dit long. Aujourd'hui, il est sorti de prison, je crois.

Christophe : Oui. 

Anubandh : Ensuite, nous avons Swaminathan GURUMURTHY. Il est affilié à RSS.

Nous avons Jaideep PATEL, u n dirigeant du VHP qui a mené les assaillants dans la région de Naroda. Avez-vous un commentaire sur ces idéologues et activistes ? 

Christophe : Ce ne sont pas vraiment des idéologues. GURUMURTHY, oui. Les autres sont plutôt des activistes. Et d'un côté, ils ont fait le sale boulot, surtout Babu BAAJARANGI. Il ne combattait pas seulement les musulmans, mais aussi les mariages inter castes. Le « love jihad » est devenu aujourd'hui un combat du Sangh Parivar en Inde. Cependant, il existait déjà au Gujarat bien des années avant que MODI ne prenne le pouvoir. Il y était donc impliqué. Cela révèle également des tensions entre individus, une compétition pour le pouvoir. Narendra MODI et Pravin TOGADIA étaient indéniablement engagés dans une sorte de compétition. Néanmoins, d'autres étaient impliqués. Par exemple, Sanjay JOSHI et Narendra MODI étaient également en compétition. Et oui, cela montre bien l'existence d'une certaine hétérogénéité, de tensions au sein du Sangh Parivar. MODI a prévalu et personne n'a pu résister à son accession au pouvoir. Surtout après le refus du RSS en 2007 pour le soutenir. Cette même année, de nombreux membres du RSS ne l'ont pas soutenu pendant la campagne électorale. Pourtant, il remporte la victoire, et ce, avec une marge très large. Même le Bharat Kisan Sangh, organisation qui avait combattu Narendra MODI, est devenu obsolète. Après cela, il ne reste plus de véritable opposition au sein du Sangh Parivar, à l'exception de Keshubhai PATEL. Keshubhai PATEL tentera de conquérir le pouvoir au sein du BJP et, bien sûr, il sera marginalisé. 

Anubandh : Un autre exemple de cette rivalité, peut-être incroyable, mais vrai, est le fait que Narendra MODI aurait détruit plus d'une centaine de temples au Gujarat, dans le cadre d'une campagne anti-empiètement, pour marquer des points contre le VHP ! Il a également été accusé par les dirigeants du VHP d'être anti-hindou. C'est peut-être très difficile à croire aujourd'hui. 

J'aimerais maintenant citer quelques noms de policiers accusés de pogrom et d’exécutions extrajudiciaires en 2002. Christophe, comme vous le savez, peu de ces policiers ont été inculpés et ont bénéficié d'un procès équitable. Nombre d'entre eux ont même été acquittés. Il est donc important, au moins dans le cadre de votre livre, de mettre en lumière ces noms. Je vais les lire, ainsi que ceux d'autres policiers impliqués, et nous nous arrêterons ensuite.

Il y a K.M. VAGHELA, l'inspecteur Tarun BAROT. Je ne m'en souviens plus, mais ils ont travaillé avec Ketan TIRODKAR, un journaliste basé à Mumbai. Nous avons J. G. PARMAR, inspecteur, Noel PARMAR, officier de police, P.B. GONDIA, officier de police, et Ramesh PATEL, officier de police. Il y a Rajeev KUMAR, codirecteur du Bureau central de renseignement (CBI - Central Bureau of Intelligence) du Gujarat, agent du Bureau d'information (IB - Information Bureau), accusé par le CBI dans l'affaire Ishrat JAHAN. Nous avons Abhay CHUDASAMA, officier de police supérieur, accusé d'extorsion avec Amit SHAH et Soharabuddin. Nous avons Ashish BHATIA, ancien commissaire adjoint de police de Surat, nommé au poste de commissaire adjoint. Vous avez Shivananda ZHA, ancien commissaire adjoint de police d'Ahmedabad, nommé au poste de commissaire adjoint par le ministre de l'Intérieur. Vous avez K.G. ERDA, officier de police responsable de la zone de Gulberg Society. Plus tard, VANZARA - Chef de la branche de détection de la criminalité - Chef de l'escouade antiterroriste. P.P. PANDEY - Chef de la branche criminelle. Narendra K. AMIN, adjoint de D. G. VANZARA, J.G. PARMER, inspecteur. Vous avez M.K. TANDON - Officier de police et K. K. MYSOREWALA, inspecteur de police en charge de la zone de Naroda Patiya. Rakesh ASTHANA, membre du SIT – qui est devenu directeur adjoint du CBI en 2016. Vous avez Y.C. MODI qui a enquêté sur le rôle de MODI dans les émeutes du Gujarat, nommé par le SIT, a enquêté sur le meurtre de Haren PANDYA, est devenu directeur adjoint du CBI en 2015. Praveen SINHA, cadre du Gujarat de la promotion 1988, est devenu directeur par intérim du CBI en 2021. G.L. SINGHAL, commissaire adjoint de police à la branche criminelle, CHAKRABORTY, DGP accusé dans une exécution extrajudiciaire avec Samir KHAN avec Amit SHAH. 

Et la dernière diapositive concerne les policiers engagés.  

R.B. SREEKUMAR dispose de la liste complète des cadres de l'IPS et de leurs complices. Il a également souligné leur proximité avec Amit Shah et Narendra MODI. Satish VERMA, membre de la SIT, a enquêté sur de exécutions extrajudiciaires et a accusé d'autres membres de la SIT de ne pas avoir permis une enquête impartiale. Geetha JOHRI, inspectrice générale et première femme officier du Gujarat au sein de la CID, a également été citée dans son rapport. Son rapport mentionnait « la collusion du gouvernement de l'État, sous la forme de Shri Amit SHAH, ministre d'État à l'Intérieur. Cette affaire bafoue totalement l'État de droit et illustre peut-être l'implication du gouvernement de l'État dans un crime majeur ». Elle a souligné la collusion entre politiciens, criminels et policiers. Néanmoins, sa nomination ultérieure au sein de l'Équipe spéciale d'enquête (SIT) a été critiquée. 

Sanjeev BHATT. Nous avons parlé de lui. Officier de police supérieur. Il a fait une déclaration contre Narendra MODI et a évoqué la tristement célèbre réunion du 27 Février 2002, au domicile de MODI. Tirth RAJ, inspecteur de police, a enquêté sur l'affaire Sameer KHAN. Rahul Sharma, commissaire de police, a soumis des CD de conversations à la Commission Nanavati, et, étonnamment, celle-ci ne les a pas demandés ! Début avril 2002, il était commissaire adjoint de police. S.P. TAMANG, magistrat métropolitain, et Rajneesh RAI, inspecteur général adjoint, ont enquêté sur des exécutions extrajudiciaires en vue de l'arrestation du D.G. VANZARA. 

Désolé pour cette longue liste. Cependant, je pense qu'elle était importante. Vos commentaires, s'il vous plaît. 

Christophe : Pour ceux qui souhaitent en savoir plus, le livre est disponible avec tous les détails et les sources. Il montre que tout était accessible. Il est basé uniquement sur des sources ouvertes. Il n'y a absolument aucun document confidentiel, et lorsqu'il y en a, ils sont cités en annexe pour garantir leur accessibilité. C'est ce que j'ai trouvé intéressant, car lorsque le livre a été soumis à l'éditeur en 2013, il n'était pas publiable, alors que tout était déjà dans le domaine public ! Il serait donc intéressant de comprendre comment une histoire comme celle du Gujarat de MODI a été perçue par les Gujaratis, d'abord et au-delà du Gujarat, rétrospectivement. De quel moment de l'histoire indienne s'agit-il et pourquoi est-il ainsi effacé ? Je pense que la prochaine génération ne saura même pas la moitié de ce que vous avez dit aujourd'hui. 

Anubandh : C'est pourquoi votre livre est précieux ! 

Christophe : Oui, exactement, les livres servent à ça : les archives. Ce livre est comparable à celui d'un collègue pakistanais, K.K. AZIZ. Son titre était « Meurtre de l'histoire ». Comment l'histoire s'efface. Précisément, nous écrivons des livres : pour comprendre, interpréter, analyser, mais aussi pour ne pas oublier, pour se souvenir. C'est l'une des autres missions des universitaires. 

Anubandh : Effectivement, Christophe, j'avais beaucoup d'autres questions à vous poser, mais je laisse maintenant le public découvrir ses propres réponses dans ce livre, qui est une lecture passionnante !

Encore une fois, merci beaucoup d'avoir accepté cette discussion avec moi. Car écrire un livre et le lire sont deux expériences différentes. Et avoir l'auteur lui-même pour en discuter avec vous, c'est vraiment exceptionnel ! Je très vraiment heureux que vous m'aviez accordé votre confiance et que vous m'aviez consacré du temps. Je vous ‘en remercie. 

J’espère que nous aurons encore de nombreuses occasions de ce genre. 

Merci, Christophe. 

Christophe : Merci.


 

 

Christophe JAFFRELOT



Christophe JAFFRELOT est professeur de politique et d'histoire de l'Asie du Sud au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po (Paris). Il est également professeur de politique et de sociologie indiennes au King's India Institute (Londres) et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Paris. JAFFRELOT est professeur invité à l'India Institute du King's College de Londres. Il a enseigné à l'Université Columbia, à l'Université Yale, à l'Université Johns Hopkins et à l'Université de Montréal. Il a travaillé comme Global Scholar à l'Université de Princeton.

 

Christophe JAFFRELOT est Consultant permanent à la Direction de la Prospective du Ministère des Affaires Etrangères.

 

Il a écrit plus de 24 livres sur l’Inde et 7 sur le Pakistan. 

 

Christophe JAFFRELOT est un chroniqueur régulier dans les principales publications d'information indiennes telles que The Hindu, The Indian Express, The Wire. 



Anubandh KATÉ est un ingénieur basé à Paris et co-fondateur du collectif « Les Forums France Inde ».

 

 

   

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