Thursday, August 14, 2025

Un état des lieux des économies indienne, française et de la zone Euro avec économiste Jean-Joseph BOILLOT

 


Nous vous présentons un entretien captivant avec Jean-Joseph BOILLOT, économiste français de renom et spécialiste de l'Inde. M. BOILLOT se définit lui-même comme un économiste hétérodoxe, convaincu que l'économie doit également prendre en compte les aspects sociaux, politiques et culturels, entre autres. Auteur prolifique, il a écrit plusieurs ouvrages sur l'Inde, le Pakistan, la Chine, la France, l'Italie, la Russie, l'Afrique, l'Union européenne et bien d'autres. Il est connecté à l'Inde depuis plus de 45 ans.  

Dans cet entretien passionnant, nous comparons les complexités des économies française, indienne et de la zone euro. Nous examinons comment la dette nationale dépend du taux de croissance du PIB, du taux d'inflation, des recettes fiscales, des taux d'intérêt sur la dette, du rôle régulateur des banques publiques et de la capacité d'un pays à apprécier/ déprécier sa monnaie, entre autres facteurs.  

M.BOILLOT nous présente les raisons structurelles de l'énorme dette nationale française et comment la crise économique a conduit à un mécontentement social général dans ce pays.  

Nous discutons également de la différence entre la nature du chômage en Inde et en France, tout en explorant comment la mortalité infantile diffère dans son ampleur et sa nature dans ces deux pays, ainsi que dans la zone euro.  

Enfin, M. BOILLOT nous livre avec un esprit à la fois critique et candide son analyse du conflit en Ukraine, considérant notamment les frictions entre la position officielle de l’Inde et celle du camp occidental (UE, USA et OTAN).  

Remarques :   

1)    Ci-dessous le lien vers l’entretien en français. 

https://www.youtube.com/watch?v=0c3EIuAy47U

2)    Veuillez noter que l'entretien est sous-titré simultanément en anglais et en hindi.   



Anubandh : Bonjour ! Je m'appelle Anubandh KATÉ. Je suis le co-fondateur des Forums France Inde et je travaille à Paris en tant qu'ingénieur. Aujourd'hui j'ai le plaisir, un grand plaisir d'accueillir sur le plateau des Forums France Inde un grand économiste Jean-Joseph BOILLOT, si j'ai bien prononcé son nom… 

Jean-Joseph : C'est parfait !

Anubandh : Très bien. Merci. Donc pour vous présenter rapidement, vous êtes économiste renommé et vous avez écrit pas uniquement sur l'Inde mais aussi sur le Pakistan, sur l'Afrique, sur la Chine, sur la France bien sûr, sur l'Union européenne. Donc voilà, on voit que le panneau est grand, le spectre est grand. Vous avez fait vos études à l'École Normale Supérieure (ENS). Actuellement vous travaillez à IRIS, l'institut de Relations Internationales et Stratégiques. Vous êtes conseiller sur les pays émergents depuis 2018. Depuis 2006 vous étiez le co-président, d’Euro India Economic and Business Group (EIEBG). Ensuite, également depuis 2006 vous êtes expert Inde et Asie. Vous faites partie de Cercle CYCLOPE. C'est un annuaire des marchés mondiaux des matières premières. Avant, entre 2006-2008 vous étiez conseiller économique de CEPII club et dernièrement vous êtes-vous étiez également conseiller économique sur les pays émergents au Ministère des Finances.

Quand on parle de vos publications et je vais quand-même rapidement donner une idée de ce que vous avez déjà publié. Alors, pas mal de livres sur l'Inde. Il y a « Arthshastra ». C’est le plus récent. Arthshastra, c’est la science d’économie. Ce mot est en Sanskrit.  Ensuite, « Utopies - made in monde, le sage et l'économiste ». Il y a un livre sur l'Afrique, sur l'Inde. « Jugaad l'innovation ». Il y a des livres en anglais, en français. « L’Économie de l'Inde ». Avant, vous avez aussi publié un livre sur « l'Union européenne - un défi économique pour tous ». Un autre sur l'Italie quand il avait l'élargissement pour l'Italie. Il y a aussi les Régions de la Russie. Et tout au début il y a le Pakistan. Donc Jean-Joseph  BOILLOT, Bienvenu ! 

Jean-Joseph : Merci. 

Anubandh : Et la première question que j'ai pour vous c'est est-ce que vous pouvez rapidement nous raconter votre lien avec l'Inde, avec le Pakistan et l'Asie en général ?

Jean-Joseph : Oui, bien sûr. C'est toujours important de relativiser la parole de quelqu'un en fonction de sa propre expérience. La découverte de l'Inde c'est en 1981, donc ce n’est pas d'hier. C’est le moment où en gros la Chine et l'Inde décident de changer leur stratégie de développement économique et politique. D'ailleurs, à peu près au même moment. Moi, je viens de terminer de passer l'agrégation de science économique et sociale et j'ai été reçu major donc je suis nommé comme professeur à l'École Normale Supérieure (ENS). Et là nous sommes censés faire de la recherche et donc le hasard fait que juste après l'agrégation pour fêter ça avec mon épouse nous partons en Inde pour deux mois. Grandes vacances après des années de travail acharné et nous faisons le sud de l'Inde entre Bombay, Hyderabad, Madras et on revient par le Kerala. On a pris le temps vraiment pour la première fois. On voyageait en bus, en train, en « backpacker » comme on dit.

Et la découverte est un choc pour moi parce que l'habitude en France était de parler d'un pays très pauvre, la misère les castes. En fait tous les aspects négatifs de l'Inde et là pendant deux mois, on découvre l'autre face de l'Inde, c'est-à-dire l’Inde qui est dynamique, énergique qui se lève tous les matins, qui est vibrante, qui est colorée. On y mange très bien. Voilà, et donc cette contradiction-là m'énerve, m'excite et au même moment je dois choisir un sujet de thèse et donc je vais proposer comme sujet de thèse le modèle indien en comparaison avec le modèle chinois et à partir de cet été 1981, j'ai passé pendant 30 ans de façon intensive des séjours en Inde avec ma famille etc. à la fois en chercheur et puis ensuite j'ai été correspondant du journal Le Monde basé à New Delhi. Et puis j'ai arrêté de couvrir l'Inde en tant que tel parce qu'il y a eu la chute du mur de Berlin en 1989-90. Donc là, on m'a demandé de travailler sur les pays de l'Est mais j'ai toujours gardé une relation très étroite avec l'Inde jusqu'à ce qu’une de mes filles, la plus jeune se marie avec un indien. Alors, j'ai une belle-famille en Inde dans le centre de l'Inde dans une ville qui s'appelle Vidhisha, à côté de Bhopal. Ce sont des agriculteurs. Nous sommes très proches. Là encore l'idée qu’on passe très facilement, comme on dit, d'une race à une autre me vient spontanément. Je suis un humain et je ne suis ni français ni indien, voilà. Je suis un citoyen de la planète avec effectivement une très forte dose de français et d'indien puisque j'ai passé autant de temps en Inde quasiment qu'en France.  

Anubandh : Oui et je vois aussi dans votre profil qu’il y a une transversalité non seulement au niveau de métier, vous n’êtes pas uniquement économiste, vous avez aussi des intérêts qui dépassent ce domaine. Vous avez surtout une vue assez large sur les pays, sur les continents. Je regarde assez souvent vos propos, vos commentaires sur LinkedIn et je vois là aussi, vous ne suivez pas vraiment la doxa, une sorte de consensus qui existe en France, en Europe, parfois aussi en Inde sur des sujets très variés. Je dirais que vous avez un avis qui est distingué. Et l'année de 1990 que vous avez cité en Inde, c'était l'année assez marquante de l'ouverture de l'économie indienne. Et depuis, nous avons parcouru un beau chemin quelque part ou au moins un chemin très marqué par des hauts et des bas. On va y revenir. Si vous êtes d’accord, j'ai aussi envie un jour de vous interroger sur vos livres et on fera une discussion dédiée. Mais ce que je propose dans cet entretien c’est d’avoir un aperçu de comparaisons entre l'état actuel de l'économie indienne, française et l'européenne. Oui, est-ce que vous avez des mots à dire avant que je vous montre quelques graphiques ?  

Jean-Joseph : Oui. D'abord, je j'appartiens à un courant d'économistes qu'on appelle les économistes hétérodoxes. Hétérodoxes par opposition aux économistes orthodoxes qui considèrent qu’il y a une doxa, une doctrine qui doit être la même pour tous les économistes. Et dans cette école des hétérodoxes j'ai un certain nombre de parrains qui m'ont influencé dont Amartya SEN, l'économiste indien Amartya SEN. Avant de le connaître j'ai été très marqué par Gunnar MYRDAL qui est un des fondateurs de l'économie hétérodoxe. Il est un suédois. Il avait écrit un livre, un pavé de 1000 pages qui s'appelle « Asian Drama », qui était beaucoup centré sur l'Inde. J'ai un troisième « Gouru », on appelle ça en Inde, qui est un économiste hétérodoxe. Il aurait dû avoir le prix Nobel mais parce qu'il était hétérodoxe il ne l'a pas eu. Il s’appelle Albert HIRSCHMAN. Pour moi, il a eu le rôle le plus marquant dans les modèles économiques que j'utilise. Ce sont des modèles économiques larges. C'est pour cela que j'ai fait des sciences sociales, sociologie, politique, géopolitique. Pourquoi ? Parce que l'économiste, lui considère que l'économie est une boîte fermée. Alors que nous hétérodoxe, nous considérons que l'économie est une discipline à part entière mais qu'elle est influencée par des facteurs non économiques qui parfois l'emportent largement sur les facteurs économiques. Voilà c'est le cadrage.   

Anubandh Oui, l'exemple de d’Amartya SEN est assez pertinent parce que c'est lui qui avait donné le concept de « Human Development Index » (HDI), Index de Développement Humain (IDH) et pas juste le PIB ou le « GDP » et voilà donc ça rejoint à votre approche d'économiste hétérodoxe. Je vais chercher plus tard les noms et les livres des autres économistes que vous avez cités.

Maintenant, je propose de partager quelques graphiques que j'ai choisis. Commençons avec l'économie française. Le sujet n'est pas très, comment on peut dire, très rose.

 


C'est la dette publique française et on a ici, la période entre les années 1990 jusqu'à 2025. Donc la dette, on sait très bien maintenant que c'est plus que 3300 milliards. Il y a aussi une augmentation annuelle sur les 12 mois glissants. Surtout si on étudie les années de présidence de MACRON depuis 2017. En 2017 la dette était à 2200 milliards d'euros. Aujourd'hui on est à un peu plus de 3300 (milliards d’Euros). Donc c'est une augmentation de 1000 milliards d'euros. Voilà, est-ce que vous avez un mot sur ce graphique ? 

Jean-Joseph : Oui, parce que c'est évidemment quelque chose qui marque une période de crise structurelle, de crise profonde sur un double plan.

D'abord une crise politique. Si la dette explose avec Monsieur Emmanuel MACRON c'est parce que Monsieur MACRON est mal élu. Il n'est pas vraiment légitime en réalité. Il a été élu pour bloquer Monsieur François FILLON qui a été exclu de la course à la présidentielle sous des propos tout à fait fallacieux. Même s'il y a eu, bien sûr de la corruption mais elle ne justifiait pas d'écarter ce candidat. Et parce que MACRON, c'est le candidat de « l'établissement » et que cet établissement avait peur effectivement de Madame LE PEN. Donc, la crise politique elle est depuis 2017 très forte en France et elle n'a pas évidemment reculé. D'où le pouvoir politique est obligé de dépenser plus qu'il n'a pour acheter, on va dire la paix sociale.

Le deuxième aspect économique c'est que l'économie française n'a plus de ressort dynamique et la dette exprime tout simplement que le taux de croissance est désormais guère plus que 0,5 ou 1% par an. Et que si cette économie française n'est pas dynamique c'est parce que le, comment dire, le modèle économique qui est utilisé est un modèle avec beaucoup trop de taxes, de réglementation, un état centralisateur qui empêche les entrepreneurs de véritablement s'exprimer et qui est centré autour d'une élite qu'on appelle le CAC 40. C'est-à-dire les grands groupes français qui eux sont dans les couloirs des ministères et de l'Élysée. C'est-à-dire Bouygues, Dassault et cetera qui comme par hasard possèdent tous les médias aussi. D'accord ? Donc, on a vraiment une crise profonde en France depuis je pense, en gros, SARKOZY après CHIRAC. Après le président CHIRAC, on a  tous les indices de crises économique et politique, ils s’enchevêtrent. C'est inquiétant et on voit bien qu'avec l'affaire de Madame LE PEN en ce moment qu'ils essaient de retirer de la course électorale et bien la crise va continuer.  

Anubandh Oui, la question aussi qu’on se pose, parce que on nous avait vendu (Emmanuel) MACRON en disant qu’il était le « Mozart de la finance » et que ça allait mieux. Bien sûr les problèmes n'ont pas commencé en 2017, c'était même avant et on sait très bien quand vous avez cité SARKOZY même HOLLANDE. SARKOZY après la crise de 2008 a utilisé l'argent public pour sauver les grandes banques françaises comme BNP (Paribas), Crédit Agricole de la faillite. Donc, c'était l'argent public parce qu’ils avaient investi ça dans la spéculation, dans la crise aux États-Unis.   

 

 

Jean-Joseph : C’est ça.    

Anubandh : Quelque part, ils l'ont joué au loto.  

Jean-Joseph : Exactement !  

Anubandh : Et puis voilà les Français les ont sauvés.

Deuxième chose, on sait aussi que dès 2013François HOLLANDE a fait des cadeaux fiscaux comme CICE - Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi. C'est 18 milliards d'euros tous les ans, sans aucune contrepartie visible. A cela s’ajoute les 5 milliards d’Euros par an depuis 2018 d’ISF (Impôt sur la Fortune) que monsieur M. MACRON a donné. Les français posent peut-être la question où passe cette l'argent ? Parce qu'on ne voit pas que la Sécu est mieux ou l'éducation est mieux ou la santé est mieux. À quoi on utilise (cet argent) et si c'est « quoi qu'il en coûte » mais alors pour faire quoi exactement?  

Jean-Joseph : C'est un système qui achète la paix sociale, comme je vous l'ai dit. D'accord ? C'est-à-dire que, par exemple, le dérapage des comptes de la sécurité sociale, notamment les systèmes de santé et bien ce système est totalement non contrôlé. Nous avons des dépenses considérables de médicaments, de laboratoire et cetera qui sont le résultat d'un régime qui, comment dire est sous l'influence des lobbies des laboratoires, des médecins et cetera et cetera. Donc il distribue de l'argent, un peu à tous ces lobbies, à leurs intermédiaires. Et comme il ne peut pas faire payer les gens directement, n'est-ce pas ? Parce qu’il a un problème de légitimité politique alors, il distribue l'argent à droite et à gauche. Donc la France est un pays où les robinets fuient. On appelle ça la fuite des robinets et qui explique pourquoi la surtaxassions maintenant du système ne donne plus envie aux gens de travailler. Ce n’est pas un discours de droite. C'est une réalité profonde. On n'a pas envie de se lever le matin parce que si je vais pas au travail, ce n'est pas grave, il y a des indemnités chômage, il y a des indemnités et cetera et cetera. Et à chaque fois qu’ils essaient de remettre un peu d'ordre dans ce système qui a perdu le contrôle, donc des dépenses et des recettes et bien il y a une contestation sociale. Et comme ils n'ont pas de légitimité politique et bien finalement tous les robinets sont ouverts.

Anubandh : J'ai un dernier aspect ici sur le chômage, le taux de chômage en France. Comme ça on aura la comparaison avec l'Inde. Donc on voit le taux pour ces 5 derniers ans, c'est à peu près 7,3, disons c'est le chiffre le plus récent. Si vous avez un commentaire, sinon je vais passer vers l'Inde. 

 


Jean-Joseph : Oh… très rapidement. C'est, les statistiques c'est une fabrication institutionnelle d'une représentation. En fait le taux de chômage là mesure simplement la part des gens qui demandent et qui ont droit à des indemnités chômage. En réalité, ce qui est important c'est le taux d'emploi. C'est-à-dire sur 100 personnes, en âge de travailler, je dis bien en âge de travailler, combien qui exercent vraiment une activité rémunérée ? Et ça, le problème en France c'est que le taux d'emploi a chuté, chez les seigneurs, c'est bien connu, c'est-à-dire les plus de 50-55 ans. Ils se dégradent à toute vitesse. Ces gens-là, ils n'ont pas le droit de s'inscrire au chômage ou bien sont rayés au bout d'un certain temps. Ensuite, surtout c'est le chômage des jeunes et notamment des jeunes dans les Banlieues. La France est en permanence en instabilité très forte dans les banlieues, c'est là où se concentre, en fait, l'essentiel de la population populaire. Et là le taux de chômage des jeunes dépasse les 50%. Or ces jeunes eux n'ont pas le droit de s'inscrire au chômage, donc ils ne sont pas sous cette courbe-là que vous montrez. C’est la raison pour laquelle on a en réalité en France, un pays où on va dire à peu près 25% de la population est censé faire vivre tout le reste et ça ce n’est pas possible. Donc, il faudrait remettre véritablement les français au travail, leur donner les chances, bien sûr. Leur donner des rémunérations conséquentes et on est mal parti parce que ça supposerait des réformes profondes dans le système politique, social et économique. Donc, je ne suis pas très optimiste pour les années à venir.  

Anubandh : Oui, tout à fait. Il y a aussi un sujet, c'est qu’il faut peut-être regarder le chômage par métier parce que dans l'informatique, l'ingénierie en France on cherche du monde. Dans l'agriculture également on cherche du monde. Donc, on peut dire que ce sont les métiers à part.

Jean-Joseph : C'est très juste.  

Anubandh : Ce n’est pas pour tous les métiers.

Jean-Joseph : C'est tout à fait exact. Mais là, le raisonnement est le même. Pourquoi dans ces métiers de la restauration, des métiers manuels, dans l'agriculture mais aussi dans l'informatique, on n'arrive pas à faire le plein des postes c'est parce qu’l n'y a pas d'incitation véritablement au travail. Nous sommes dans un système où il n'y a pas assez de stimulants pour remplir les postes là où il y en a besoin. 

Anubandh : Oui et juste pour finir sur ce sujet je dirais que ça explique aussi ou peut-être justifie pourquoi on a besoin parfois besoin des étrangers.  

Jean-Joseph : Exactement.    

Anubandh : Dans l'ingénierie ou même dans l'agriculture parce qu’il n’y en a pas assez de gens. Soit ils n'ont pas envie ou soit ils sont pas qualifiés ou qu’ils ne sont pas assez nombreux.  

Jean-Joseph : Exactement. Tout à fait.  

Anubandh : Merci. Du coup, maintenant c'est un aperçu sur l'Inde. C'est aussi le taux de chômage et apparemment il se stabilise. Il est à 8,2% pour 100. Si vous n’avez pas un mot à dire je passe à… 

 


Jean-Joseph : Si, si, bien sûr. C'est un sujet très important. Pour n'importe qui qui connaît l'Inde et pas nécessairement un grand économiste, il est évident qu'un chiffre comme ça n'a pas de sens. On sait bien que partout quand on va en Inde on voit le sous-emploi massif, les gens qui n'ont pas de travail. Chez les jeunes notamment. C'est très fort aujourd'hui. Alors on a le même problème statistique que ce que je disais sur la France. C'est-à-dire que le taux de chômage là, c’est une photo statistique en fonction de critères extrêmement précis. On ne se déclare pas au chômage comme ça en Inde, n'importe comment parce qu’il… il faut aller s'enregistrer, il faut avoir le droit d'être enregistré. En réalité, le problème de l'Inde est beaucoup plus fort que la France en terme de chômage. C'est parce qu'on a un système économique, un modèle économique depuis quelques années qui favorise les grandes entreprises, les grands travaux, les gros équipements par rapport à véritablement l'utilisation de la main d'œuvre de sorte que vous avez un boom démographique qui arrive sur le marché du travail. En gros, sur 100 jeunes qui arrivent sur le marché du travail il y en a que 25 qui arrivent véritablement à trouver un emploi stable. En réalité, le autres n'ont pas d'emploi.    

Anubandh : Vous avez raison parce qu’on dit beaucoup à propos de cette croissance sans emploi, sans avoir créé l'emploi en Inde. Il y a aussi ces oligarques qui contrôlent une grande partie de l'économie indienne maintenant. Alors, il y a ce problème également. Pour le graphique suivant c'est la dette nationale indienne. Il vient depuis le site Statista. Je vois que ça semble être assez constant ces derniers quelques années. 




Jean-Joseph : Oui, bien sûr. Bien sûr parce que là on a… Attention. C'est un ratio par rapport au PIB / Or. Le PIB de l'Inde augmente chaque année d'environ 6-7%. Donc, si votre dette n'augmente pas plus vite que votre taux de croissance et bien vous stabilisez votre taux d'endettement. Alors le niveau absolu est quand-même assez élevé. Il faut faire attention. Pourquoi ? Parce que l'Inde est un pays pauvre qui n'a pas beaucoup de recettes fiscales. D'accord ? Donc la dette, il faut la rembourser. Finalement, le système public indien a du mal à rembourser sa dette parce qu’il n’y a pas assez de recettes fiscales. Enfin il y a beaucoup plus d'inflation en Inde. Alors, ça c'est important. Pourquoi ?  Parce que la dette c'est une dette qu'on appelle nominale, c'est-à-dire elle est en roupie courante. Si l'année dernière la dette était de 100, vous avez une inflation d’en gros 7-8-10%. Je vais prendre 10% pour l'Inde. Ça veut dire que l'année suivante votre PIB passe de 100 à 110. Mais sans avoir vraiment augmenté. C'est juste un effet d'inflation. Donc l'Inde arrive à gérer sa dette publique, à la stabiliser, on va dire en terme relatif, grâce à la croissance nommée réelle, 7% par an plus l'inflation, une augmentation des dépenses publiques et donc à une dette qui reste à peu près raisonnable.

Anubandh : Oui et un petit commentaire aussi sur la dette française. Vous pouvez confirmer si c'est vrai ou pas. C’est que désormais le budget principal de la France c'est pour rembourser les intérêts sur la dette. Ce n’est même pas le principal. Donc, c'est quand-même une grosse somme.

Jean-Joseph : Bien sûr. Parce que la France paye des taux d'intérêt très bas sur sa dette de l'ordre de 1 et demi. Alors que l'Inde paye beaucoup plus cher. Le taux d'intérêt sur sa dette, elle est en moyenne de 5 à 6%. Mais dans le cas français comme je ne fais pas de croissance, en gros 0 dans les faits et qu’il n’y a pas d’inflation, alors la dette en réalité ne cesse d'augmenter. Donc je suis obligé d'emprunter pour rembourser les emprunts qui ont été faits. Dans le cas indien le système est très différent parce qu’il y a de la croissance, il y a de l'inflation et en plus il y a le système financier indien qui est totalement contrôlé par des banques publiques d'État dans les faits. Alors, les banques publiques d'État ont un ordre de financer d'abord les émissions d'emprunt de l'état. C’est pour cela que l'état indien n'a pas de grosses difficultés, même s'il paye un taux d'intérêt qui est assez élevé. Puisque à cause de l'inflation le taux d'intérêt moyen, je vous l'ai dit est de 5-6%. Mais comme la croissance est de 7%, finalement, vous avez montré le graphique tout à l'heure, le ratio de la dette par rapport au PIB reste à peu près constant aux alentours de 60%. 

Anubandh : Oui. Une autre différence entre la France et l'Inde c'est que l'Inde a la possibilité d'évaluer ou réévaluer sa monnaie. 

Jean-Joseph : Oui. 

Anubandh : Chose qui n’est pas possible pour la France. 

Jean-Joseph : Exactement ! Vous avez raison. 

Anubandh : Maintenant, puisque vous avez aussi parlé de l'économie hétérodoxe, j'ai un autre graphique, c'est sur le taux de mortalité des enfants pour l'Inde. Cela ne se voit pas peut-être très bien (sur le graphe) mais il y a une nette décroissance. De 1967 qui était à 140 et aujourd'hui, en 2020, ce chiffre est à 26. On voit que le taux de mortalité pour l'Inde diminue. Ce qui est un chiffre positif. 



 

Jean-Joseph : Exactement. 

Anubandh : Voilà et je vais comparer ça avec la France mais pas uniquement la France. Je vais passer à l'Europe et je commence avec le taux de mortalité. Ici vous voyez le taux de mortalité pour les enfants et on voit que les pays qui sont en rouge foncée, y compris la France, c'est plus de 5%. C'est pour 1000 naissances. Voilà le taux de mortalité infantile, le nombre de décès avant un an pour 1000 naissances. Est-ce que vous avez un mot pour tous ces pays en Europe et si on peut le comparer avec l’Inde ? 



Jean-Joseph : Vous avez vu comme moi, l'inde reste à un niveau très élevé puisqu'on est à plus de 20 décès pour 1000 enfants, d'accord ? Remettez le graphique vous verrez et il y a eu une très nette amélioration. On est à combien là ? On est presque à 30 encore. 

Anubandh : On est à 26 en 2020. Oui, c'est ça, 26.

Jean-Joseph : Bon avec les statistiques indiennes, il faut beaucoup se méfier parce que franchement pour avoir travaillé avec des collecteurs de statistiques dans les villages, en fait, ils ne vont même pas dans le village. Il y a une corruption massive des enquêtes, Donc. 

Anubandh : Cette enquête vient de « World Bank Group » (source).    

Jean-Joseph : Voilà je pense qu’on est plutôt encore aux alentours de 30-35 en Inde, en réalité. Donc voyez par rapport au pays développés ça n'a rien à voir. La mortalité infantile reste élevée en Inde et c'est normal parce que le niveau de pauvreté, les zones de pauvreté restent considérables. Maintenant vous avez raison de montrer la chute très importante d'années en années de la mortalité infantile. Ça, c'est un progrès. C'est incroyable pour l'Inde. Pourquoi ça a baissé, il faut se poser la question. Et bien c'est parce qu’on voit bien les systèmes de santé Indiens ont été pas mal réformés, notamment permettant d'avoir des dispensaires dans les villages, dans les villes de province et cetera et donc l'accès aux femmes à des systèmes de santé c'est nettement amélioré. 

Anubandh : Oui, mais pour revenir à la France, il est difficile à comprendre parce que la France se vante de son système public de santé. Mais si on la compare avec l'Allemagne, Portugal, l'Espagne, Italie, la différence est nette. Comment on peut comprendre cela…. ? 

Jean-Joseph : Non, attention. Vous savez les statistiques là encore c'est compliqué. Attention, le taux de natalité en France est nettement supérieur à celui des autres pays que vous montrez. Donc, on n'a pas du tout maintenant le même niveau de naissance. Par exemple, l'Espagne a connu une chute complète de sa natalité. L'Italie, c’est la même chose. Donc les pays en clair là, c'est tout simplement ils ont un meilleur taux de mortalité Infantile, un taux plus bas parce qu'il y a beaucoup moins d'enfants. Alors, on fait beaucoup plus attention aux enfants qui naissent. Dans le cas français, il y a d'une part un taux de fécondité qui reste plus élevé. Taux de fécondité c'est-à-dire le nombre d'enfants par femme et d'autre part la France est un pays d'immigration, d'accord ? La très grosse partie de ces naissances désormais sont dans des familles de migrants, de Maghreb, même d'Inde et cetera. Et là dans ces familles là et bien les taux de mortalité infantile restent relativement élevés parce qu'on a des familles nombreuses, parce que ça coûte cher la santé et parce qu'on ne s'est pas adapté en France à ce niveau d'immigration élevée qui fait d'ailleurs sur le plan politique. Vous avez vu, c'est un des sujets majeurs du débat politique en France. Il y a chaque année entre 500.000 à 1.000.000 de migrants, c'est donc considérable en France et ça se traduit au niveau des naissances par le fait qu'on a un taux de natalité, de mortalité infantile plus élevé que les autres.

Anubandh : D'où l'importance de se méfier quand on interprète les graphiques. Je suis d'accord avec vous.

Et juste pour préciser, ce graphique vient du site de Élucid et c'était quand l'économiste Emmanuel TODD récemment était interviewé sur ce site. Juste pour finir le sujet de taux de mortalité infantile, niveau maintenant Europe et vous pouvez voire c'est intéressant.

 


Pour la France, vous venez d’expliquer pourquoi on a un taux de mortalité plus élevé. Mais on voit pour la Russie par exemple, c'est vraiment une décroissance nette. Pour l'Allemagne aussi. Est-ce que vous avez un commentaire quand on compare ces pays ?

Jean-Joseph : Alors pour la Russie, là encore il faut faire très attention. La Russie est un pays qui connaît une chute complète du taux de natalité des Russes, d'accord ? Remplacé par des populations migrantes de l'Asie centrale en particulier. Là ils ne sont pas du tout couverts par les statistiques, d'accord ? Non, ce qui est inquiétant en France c'est la reprise, la remontée du taux de mortalité infantile, depuis une dizaine d'années. Voyez, la France est le seul, un des pays où ça remonte rapidement, un peu plus rapidement, notamment que l'Allemagne. Comme je vous l'ai dit ça tient au fait que l'échantillon a changé. Ce n'est plus la même population. Donc chaque année, entre qui arrivent et comme là ils arrivent avec des taux de mortalité infantile très mauvais, très médiocre notamment du Maghreb et d'Afrique noire, beaucoup d'Afrique désormais et bien on reconduit tout simplement les mauvaises pratiques d'avant. On hésite à aller chez le médecin, on ne va pas dans les dispensaires et cetera. 

Anubandh : D’accord. Merci. 

J'aimerais maintenant évoquer la question de ce conflit entre la Russie et la Ukraine. La réaction et la position de l'Inde qui était beaucoup critiquée dans le camp dites Occident. Donc, comment vous voyez, cette position, ce conflit, la position de l'Union européenne, de l’OTAN, et de l'Amérique, de la France et de l'Inde ?

Jean-Joseph : Écoutez, j'ai eu de la chance de travailler sur les pays de l'Est pendant une dizaine d'années. Après la chute du mur de Berlin j'étais basé à Prague et je couvrais tous les pays d'Europe de l'Est, de Tallinn en Estonie jusqu'à Tirana en Albanie, d'accord ? Et je n'avais moi jamais connu cette région. Donc pendant 4 ans je me suis imprégné de cette histoire, de ses passions, de ses difficultés de l'Europe qu'on appelle le « middle Europe », du milieu entre les 2 empires. Ensuite, je suis allé à Moscou en Russie où là j'ai couvert l'ex URSS de 1994 à 1997. Donc vous voyez, et notamment je couvrais l'Ukraine.

Donc j'ai un point de vue qui est très net sur cette guerre. Très très net. Alors ce n’est non pas pour donner raison à la Russie parce que c'est pas un régime qui a de l'avenir, mais quand-même. Dans le dossier, il y a une manipulation américaine dès le départ qui est là encore sous l'influence d'un « establishment » (établissement) militaire, de la CIA, de la NSA qui est anticommuniste. Aujourd'hui la Russie n'est pas un pays communiste bien sûr mais qui est pro-américaine, nationaliste chauviniste, impérialiste, d'accord ? Et qui a consisté à, une fois que la chute du mur s'est produite, que la Russie s'est démantelée, a continué à pousser l'avantage, et à mettre notamment la frontière militaire de l'OTAN aux frontières de la Russie. Évidemment c'est inacceptable ! Mais pour tout le monde. Pour les États-Unis je vois pas effectivement une base chinoise s'installer à Cuba, sans réaction des États-Unis. Donc le fermant de la guerre, il est dans cette agressivité, dans cette agression et qui est partagée en Occident aussi par les européens. Quand on voit en France aujourd'hui l'élite, sa façon avec arrogance de se juger supérieur à la Russie et bien on comprend qu'elle soit tombée dans le piège américain, c'est-à-dire qu'elle a soutenue la position américaine d'être agressive vis-à-vis de la Russie. Donc la solution, on la connaissait. J'étais moi conseillé du président MITTERAND, à l'époque quand j'étais dans les pays de l'Est. L'idée de MITTERAND était simple, c'était de faire une grande confédération européenne avec la Russie dedans et de neutraliser les pays qui étaient frontaliers de la Russie, les neutraliser comme le schéma finlandais, c'est-à-dire c'était des pays qui étaient neutres, sur lequel ne pouvait pas être entreposé des armes américaines. Comme ce n’était pas possible d'avoir entreposé des armes russes au moment de ce qu'on appelle le bloc de Varsovie. Cette proposition du président MITTERAND a été torpillée par les Américains et « Establishment » (l'établissement) américain qui n'en voulait pas.

Alors, dès lors les germes de la guerre sont arrivés, on a bien vu la manipulation à maïdan en Ukraine d'un groupe d'ultra-démocrates qui veulent rejoindre l'Union européenne et l'OTAN et sans comprendre qu’il y a des intérêts à prendre en compte aussi en géopolitique pour les autres. Donc, il y a eu les accords de Minsk. lls n'ont pas été respectés par l'Ukraine, c'est elle qui est rentrée en guerre dans les Oblast (Donetsk) et avec ses chars et cetera qui a donné la justification aux russes de rentrer eux-mêmes en soutien à leur population russophone. Et la guerre a éclaté en 2022 parce que du côté russe on a compris que l'entrée de la Ukraine dans l'OTAN allait se faire incessamment sous peu et que dès lors que l'Ukraine était rentrée dans l'OTAN alors la Russie n'aurait pu plus jamais revenir en arrière.

Donc, c'est terrible parce que ce sont des logiques de puissance qui ont provoqué une guerre où il y a eu 1.000.000 de victimes, des deux côtés. Il n’y a pas de meilleur ou de mauvais. On ne voit pas très bien désormais comment on peut se sortir de ce piège si c'était par la victoire de la Russie. Ce qui est en train de se produire parce que évidemment les États-Unis ne peuvent pas dépenser des centaines de milliards de dollars et en armement. Il n'existe aucune capacité militaire des européens. C'est une réalité. Eux, ils étaient là, en train de dire aux ukrainiens de faire la guerre mais ce n’est pas les Européens qui la font. Je n’ai pas vu un seul français aller se faire tuer sur les champs de bataille. Voilà, donc c'est dommage, c'est triste. C'est l'état du monde. Ce n’est pas seulement en Ukraine. On voit bien qu'avec Gaza, en Israël. On a à peu près la même logique. Ce sont des logiques de grandes puissances avec le bloc occidental. Alors, maintenant qu’il y a TRUMP, il est fissuré ce bloc, donc on va voir si ça continue. Mais on a la même chose en Chine avec Taiwan. Donc c'est un monde inquiétant parce que c'est une remilitarisation du monde. Au lieu de régler les problèmes par des solutions politiques, pacifiques, on les règle par des guerres horribles. 

Anubandh : Pourtant tout ce que vous venez de dire et pour quelqu'un comme moi qui vient de l'extérieur mais qui est intégré dans la société française, tout ce que vous dites n'est pas représenté dans les grands médias. Là, on voit que c'est la Russie, c’est POUTINE qui est agresseur, c'est ça qu'on dit. Mais on ne regarde pas que les États-Unis, ils ont plus de 800 bases militaires dans le monde, que la Russie a que 10. Comme vous avez dit, ces dernières années l'OTAN a pratiquement encerclé la Russie et la Chine. Le budget de défense des américains c'est plus de 1000 milliards de dollars par an et pour la Russie c'est pas plus que 100 milliards je pense. 

Jean-Joseph : Oui, c'est dans ces zones, à peu près. 

Anubandh : Voilà et du coup il n’y a pas une comparaison. Mais il y a aussi une autre chose c'est que l'économie française, allemande et européenne dépendaient beaucoup à l'accès de ce gaz et pétrole moins cher venant de la Russie, qui est coupé depuis. Et on l'achète venant de l'Inde 4 fois le prix, on achète à l'Arabie Saoudite qui est un modèle de démocratie ! On achète le gaz de schiste venant des États-Unis qui est très polluant d’ailleurs. Donc il y a tout ça. Et de plus, on a eu 15% d’inflation en Europe. Et là encore, on a une proposition de dépenser 800 milliards d'euros pour monter une armée à l'Européenne quand déjà, même quand les États-Unis étaient avec nous on avait perdu la guerre. Donc les français, peut-être les européens se demandent où va l'argent et pourquoi personne ne parle de la paix et de la diplomatie ? 

Jean-Joseph : Oui, parce que les médias français, les enquêtes sont précises là-dessus maintenant. Les médias sont concentrés dans les mains d'un certain nombre de personnalités de groupes. Ou dans le secteur public qui lui-même a été contrôlé par un clan idéologique qui est bien connu. La pensée unique, on appelle ça et c'est le refus de voir de comment dire, la pluralité du monde avec une arrogance sur… « l'Occident qui est la mère de toutes les libertés, qui est le phare de la civilisation ». On le voit bien dans la façon dont…. D'ailleurs l'Inde, l'image de l'Inde a changé. L'image de l'Inde a été détestable pendant très longtemps et elle s'est nettement améliorée dans les médias lorsque l'Inde a payé cash les avions DASSAULT. N'est-ce pas ? 

Alors, maintenant que l'Inde est devenu le premier acheteur d'armes français. Attention l'Inde est le premier acheteur d'armes de la France depuis deux ans, d'accord ? Il n’y a pas que les Rafales. Il y a aussi des sous-marins et cetera. Et l'Inde c'est la moitié des contrats extérieurs dans le monde. Donc, là les médias qui sont très liés au complexe militaire ou industriel français. On appelle ça le complexe militaire ou industriel qui est très Parisien, Versaillé. Tout d'un coup l'Inde est devenu un grand ami ! et même Narendra MODI qui est plutôt critiqué par l'intelligentsia démocratique dans le monde et en particulier en journal « le Monde », ne reçoit plus les critiques tel que en réalité il les aurait dites, il y a quelques années si l'Inde n'avait pas acheté autant d'armes. Donc, ça montre à quel point la France et le pays, on va dire des droits de l'homme mais au niveau de la contestation… mais ce n'est pas le pays des libertés, des droits de l'homme réels, effective. D'ailleurs dans le classement mondial de la liberté de la presse dans le monde la France est au 25ème rang et elle n'a cessé de reculer ces dernières années à cause de la concentration des médias dans les mains de quelques grands milliardaires qui sont comme par hasard les amis de monsieur MACRON. 

Anubandh : J'ai vraiment les deux dernières questions à vous poser et après je vous libère. 

Pour tout ce que vous venez de dire pour moi a beaucoup de sens et c'est cohérent, c'est logique, c'est rationnel. Mais est-ce que cela vous arrive que les gens parfois vous qualifie d'être quelqu'un qui est peut-être l'agent de Kremlin, de POUTINE, qui est complotiste ? Est-ce que ça vous arrive ou pas ? Et comment vous le réagissez ? 

Jean-Joseph : Bien sûr, tous ceux qui ont une position hétérodoxe, ça me fait penser à Bernie SANDERS aux États-Unis, même chose d'ailleurs. Nous sommes catalogués comme des gauchistes, des idéalistes. Alors pour l'instant je ne me fais pas traiter de d'agent de POUTINE. Mais, mes positions sur la Chine, par exemple sont également très mal perçues. Non pas que je défende le régime chinois mais j'explique toujours que mon problème n'est pas de… Je suis un petit, un humble économiste. Mon problème n'est pas de juger le monde entier. Moi, ce que j'essaie… Je suis un scientifique. J'essaie de comprendre un certain nombre de choses et notamment le fait que la Chine a connu une transformation absolument remarquable en l'espace de 30 ans. Que son niveau de vie est désormais au moins équivalent à celui en réalité des Français. Il n’y a pas de problème. Leur espérance de vie est en train de dépasser celle des français. Que sur le plan scientifique et technologique ils ont des prouesses. Voilà. Enfin, leurs trains vont plus rapidement que les nôtres, c'est plus efficace. Ça fait des années que leurs smartphones sont utilisés comme moyen de paiement. Alors, évidemment, l'intelligentsia qui pense qu’il faut dire que du mal de la Chine parce que le régime politique est mal et ben ils ont du mal à comprendre BOILLOT. Et ils ne m’acceptent pas. Et donc nous sommes en général, marginalisés dans les médias. 

Par exemple, j'étais très régulièrement invité dans les médias pour parler de l’Afrique pendant pas mal de temps, jusqu'au jour où j'ai justifié que l'armée française se fasse mettre dehors de l'Afrique, parce que c'était pas tenable. Et qu’il y avait du néocolonialisme et alors le hasard a fait que tout d'un coup je n'ai plus le droit à passer dans les médias. Bon, ce n’est pas grave. L'histoire se fera sans les autres. Pareil pour l'Inde. J'essaie de garder une vision équilibrée de l'Inde. Ce n’est pas parce que MODI est au pouvoir que tout d'un coup il faut jeter l'Inde aux poubelles et ce n’est pas parce que MODI est au pouvoir qu’il ne faut pas essayer de comprendre les raisons pour lesquelles Narendra MODI est arrivé au pouvoir. Pourquoi le régime nationaliste aujourd'hui est aussi puissant et j'explique qu’il y a des raisons objectives, la sociale démocratie indienne, notamment du parti du Congrès a perdu toute crédibilité. C'est un pseudo gauche qui n'a pas respecté les traits culturels de la civilisation indienne parce que les leaders du parti du Congrès pour un grand nombre d'entre eux n'ont rien d'indien. C'est une réalité. Ce n’est pas parce que Sonia GANDHI est italienne. Mais je connais Rahul GANDHI personnellement. Cet homme-là a la tête complètement ailleurs qu'en Inde. Il va passer ses vacances en Thaïlande, il a fait ses études à Cambridge et cetera. Or l'Inde est dans une crise d'identité très forte. Elle veut retrouver son identité culturelle et le régime nationaliste est le seul qui a réussi à offrir une alternative et c'est la même chose qui se produit avec TRUMP aux États-Unis et je pense que c'est la même chose qui va se passer en Europe. Partout, partout ! Parce que les européens, on le voit en France, en Allemagne et cetera sont excédés de cette vision mondialiste, globaliste des valeurs qui seraient celles du progrès où il y a plus de sexe masculin et de sexe féminin, j'ai le droit de faire ce que je veux, l'important c'est… comment dire, de la liberté absolue, j'ai le droit de faire tout ce que je veux ! Ben non, dans la vie c'est pas comme ça. Il faut des règles de coexistence. Voilà pourquoi l'Inde continue de m'intéresser énormément parce que pour moi c'est un laboratoire aussi de ce qui se passe à l'échelle du monde. 

Anubandh : Vos propos sur l'Afrique, la diplomatie française on a vu, ce sont avérés vrais puisque la France a eu beaucoup de revers. À propos de monsieur MODI et sa politique, personnellement j'ai beaucoup de points de désaccord avec sa politique mais je dirais que vis-à-vis sa position au conflit en Ukraine et sa relation avec la Russie, c'est compréhensible et je dirais que c'est raisonnable. 

Ma dernière question pour vous maintenant c'est le spectre que vous nous avez montré, de la France, de l'Europe de l'Inde, de l'Union européenne. Il est quand-même assez morose sur plusieurs aspects. Que ça soit économique, sociale, politique et d’autre. Mais quel espoir ? Est-ce qu'il y un espoir pour le peuple Français, Indien ou mondial ? 

Jean-Joseph : Oui, bien sûr. Nous sommes… La vie connaît des cycles, des oscillations, n'est-ce pas ? Donc nous sommes plutôt là dans une phase du cycle historique, on va dire pour l'Europe en tout cas. Et pour la France qui est une phase très difficile où se conjugue la concurrence mondiale vis-à-vis de l'Europe. Pour vous donner un exemple, après la guerre l'Europe faisait 30% de la population mondiale. Elle était plus peuplée que la Chine. Aujourd'hui elle fait 7% ! Elle a une moyenne d'âge de quasiment 60 ans. Donc elle n'est plus un acteur et elle le vit mal. Elle le vit très mal. Elle perd la compétitivité économique, scientifique et donc elle dépend de plus en plus des migrants, ce qui pose problème par rapport aux populations. On voit tout de suite dans un basané quelqu'un qui est inférieur et tout d'un coup elle découvre que c'est le contraire qui se passe, d'accord ? Donc, l'Europe vit une mauvaise période et bien sûr comme pour l'Inde, ce sont des populations qui vont essayer de trouver des solutions à cette crise historique qui est que l'Europe va redevenir dans une position, comme tout le monde, ni plus ni moins ni au-dessus, ni en dessous, peut-être un peu en dessous. D'ailleurs c’est parce que le vent ne les porte plus beaucoup. Donc, c'est les peuples qui font l'histoire. C'est pour ça qu’on a beau écouté les médias, peu importe. L'important c'est-ce qui se passe fondamentalement. 

Anubandh : Merci beaucoup de cet échange en tout cas ! Merci à vous monsieur BOILLOT pour la clarté, pour la rationalité et la franchise de vos propos. Je les apprécie beaucoup et je suis convaincu que même nos auditeurs vont les apprécier également. À bientôt.   

Jean-Joseph : Merci beaucoup. À bientôt. Au revoir.



Jean-Joseph BOILLOT


Jean-Joseph BOILLOT est chercheur associé à l’IRIS. Il est spécialiste de l’économie indienne ainsi que du monde émergent, et tout particulièrement du triangle Chine-Inde-Afrique vu comme pôle structurant de la nouvelle économie mondiale en formation. 

Jean-Joseph BOILLOT est agrégé de sciences économiques et sociales et docteur en économie. Il a notamment enseigné à l’École normale supérieure et travaillé sur l’Asie comme chercheur associé au CEPII dans le cadre d’une thèse de doctorat sur le modèle indien de développement. 

Il est cofondateur de l’Euro-India Group (EIEBG), et membre notamment du groupe d’experts Cyclope et du conseil scientifique de l’ISEG. Il collabore régulièrement à plusieurs sites en ligne et assure une chronique mensuelle pour le site d’Alternatives Économiques. 

Il est auteur de plus de 20 livres dont L’Inde ancienne au chevet de nos politiques (éditions du Félin, Paris 2017), L’Économie de l’Inde (La Découverte 3e éd. 2016), L’Afrique pour les nuls (éditions First 2015), L’Inde pour les nuls (éditions First 2014), L’Innovation Jugaad (traduction et adaptation, Diateino 2013) et Chindiafrique, La Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain (Odile Jacob 2013). Son dernier livre, Utopies made in Monde, le sage et l’économiste, est paru en avril 2021 aux éditions Odile Jacob.

 

 


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