Contexte historique et portée
La pratique consistant à embaucher des entités externes ou privées pour
fournir des services publics remonte à l'époque de la monarchie française. Par
exemple, au XVIIème siècle la monarchie française a engagé des
services privés pour la construction de canaux de navigation, tandis qu’au XIXème
siècle c’était pour la construction de chemins de fer, l'éclairage public, l'alimentation
en eau potable, etc.
Cette tendance s'est inversée au cours des années 1930-1950 lorsque de
nouvelles entreprises du secteur public ont repris l'administration et la
commercialisation de services tels que le réseau électrique, le gaz, les chemins
de fer, etc. Cependant, inspirée par la tendance « New Public Management »
(nouvelle gestion publique) des années 1970 aux États-Unis ainsi qu'au
Royaume-Uni, la privatisation refait surface en France au cours des années
1980. Le terme populaire qui a été inventé pour promouvoir cette stratégie
était « Réforme de l'État ». Il s'agit notamment de grands projets de
privatisation à partir de 1997 tels qu'Air France et les autoroutes, ainsi que
de la mise en œuvre de la promesse électorale du président Nicolas Sarkozy
(2007-2012) de « non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux ».
Domination des sociétés de conseil américaines
Ces dernières années, des entreprises internationales, notamment de grandes
firmes américaines telles que McKinsey & Company et Boston Consulting Group
(BCG) ont été engagées de préférence par l'État Français. D’ailleurs, toutes
ces années précédentes, ces entreprises étaient habituées à offrir des services
aux pays qui n'ont pas une administration robuste. Initialement accueillie avec
un peu de réticence, la présence des sociétés de conseil privées dans le
secteur public est maintenant devenue monnaie courante. Leurs principales
activités comprennent la formulation de stratégies et de plans d'action pour
les missions de l'État, la rédaction de lois, les activités opérationnelles
liées à la réforme du permis de conduire, le remplacement de logiciel de paie
des militaires, l'achat de masques et l'organisation de campagnes de
vaccination, etc.
Coût énorme pour la trésorerie de l’État
Pour l'année 2019, quand on ajoute le montant payé par l'État Français aux entités extérieures, y compris celui versé par les collectivités territoriales et les hôpitaux publics, alors la somme revient à 160 milliards d'euros, ce qui équivaut à 7% du PIB ou 25% du budget annuel de l'Etat [2]! Les deux tiers de cette somme ont été consacrés à la délégation des services publics, tels que les transports publics, la gestion de l'eau, etc., tandis que le reste regroupe des prestations de services tels que des conseils d'experts, la gestion, le nettoyage, etc. Cependant, un montant aussi considérable n'est jamais devenu un sujet de débat public et cette information n'a pas été fournie aux parlementaires. Plus étrangement, il n'est pas encore devenu un sujet électoral, alors même que les élections présidentielles sont prévues en avril 2022.
Conclusion
- Le recours aux sociétés de conseil privées pour des secteurs clés tels que la santé, la sécurité et l'administration a des implications négatives majeures telles que la perte de l'indépendance de l'État ainsi que de son autonomie. En outre, ces secteurs et donc l'État perdent un savoir-faire précieux, un personnel expérimenté et une vision stratégique.
- Étant donné que le secteur public est délibérément négligé et privé d'expertise-clé, cela entrave souvent sa capacité (tant technique que managériale) à surveiller la délégation de missions au secteur privé. Il en résulte à son tour des services de qualité inférieure et inefficaces offerts aux citoyens.
- Pour les opérateurs publics, le recours au privé implique
de payer la TVA de 20%, génère des coûts « de transfert » de compétence
de l’interne vers l’externe ou entre prestataires, et empêche la possibilité de
mutualisation entre territoires.
- Les citoyens se retrouvent souvent en rapport avec le personnel d’un centre de service clientèle qui opère à partir d'un pays étranger. Les usagers et les citoyens se trouvent confrontés aux services clients externalisés de sous-traitants à l’étranger, sans possibilité d’en référer aux personnes décisionnaires et responsables de la fourniture du service dont ils ont besoin.
- La multiplication des entités privées intermédiaires entrave considérablement l'efficacité et la réactivité du secteur public. Cela affecte négativement la motivation des employés.
- Le choix de l'externalisation a des implications à la fois techniques et budgétaires, interdisant un retour à la situation initiale. En réalité, une fois que le choix de l'externalisation est fait pour un service particulier par le biais de coupes budgétaires requises, il devient alors quasi impossible d'allouer davantage de budget au cours des années successives pour revenir à la situation initiale.
- La « ré-intériorisation » signifie souvent reconstruire le savoir-faire et les compétences à partir de zéro, et donc une perte majeure pour l'État. Cela devient plus compliqué si l'externalisation remonte à 10, 15 ou dans certains cas même 40 ans.
Références :
[1] https://www.monde-diplomatique.fr/2021/11/BONTEMPS/64030
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